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Petite Poucette - Michel Serres (2012)

  • Photo du rédacteur: Max
    Max
  • il y a 2 heures
  • 6 min de lecture

Un essai court mais lumineux sur les changements sociétaux et anthropologiques qu'impliquent le numérique, notamment chez les nouvelles générations.

Un essai pertinent sur l'avènement d'une génération en plein bouleversements numériques

Petite Poucette, Michel Serres, Éditions Le Pommier, 2012

Le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout réinventer.

Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux révolutions: le passage de l'oral à l'écrit, puis de l'écrit à l'imprimé. Comme chacune des précédentes, la troisième, tout aussi décisive, s'accompagne de mutations politiques, sociales et cognitives. Ce sont des périodes de crises.«»

De l'essor des nouvelles technologies, un nouvel humain est né: Michel Serres le baptise «Petite Poucette» - clin d'œil à la maestria avec laquelle les messages fusent de ses pouces. Petite Poucette va devoir réinventer une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d'être et de connaître... Débute une nouvelle ère qui verra la victoire de la multitude, anonyme, sur les élites dirigeantes, bien identifiées; du savoir discuté sur les doctrines enseignées ; d'une société immatérielle librement connectée sur la société du spectacle à sens unique...

Ce livre propose à Petite Poucette une collaboration entre générations pour mettre en œuvre cette utopie, seule réalité possible.

Michel Serres, philosophe et historien des sciences, s’est imposé comme l’une des figures les plus originales et accessibles de la pensée contemporaine française. Né en 1930 à Agen et disparu en 2019, il a traversé son siècle avec une curiosité insatiable pour les transformations du monde. Son parcours intellectuel l’a mené de l’École navale à l’Académie française, en passant par l’enseignement à Stanford et à la Sorbonne. Érudit au style souvent poétique, il s’est efforcé tout au long de sa carrière de relier les savoirs, les disciplines et les époques.


Auteur prolifique, Serres a exploré aussi bien les sciences que les humanités, les mythes antiques que les technologies modernes. Parmi ses ouvrages majeurs, on peut citer Le Contrat naturel (1990), dans lequel il plaide pour une nouvelle forme de contrat social incluant la nature, et Hominescence (2001), où il analyse l'évolution de l’homme sous l’influence des technologies. Ces textes annoncent déjà les grandes préoccupations qui animeront Petite Poucette, publié en 2012, véritable manifeste de la mutation anthropologique en cours. Cet essai, relativement court, a d’ailleurs connu un énorme succès en librairie lors de sa sortie.


Avec Petite Poucette, Michel Serres s’adresse non seulement aux intellectuels mais aussi à un large public, soucieux de comprendre les bouleversements liés à la révolution numérique. Le titre lui-même, référence implicite au conte de Perrault, évoque ces nouvelles générations, les « Petites Poucettes » et « Petits Poucets », qui tapotent sur leurs écrans avec leurs pouces, réinventant les manières de penser, d’apprendre et de vivre ensemble.


Ce court essai, dense et accessible, propose une lecture optimiste et humaniste des mutations contemporaines. Michel Serres y dresse le portrait d’un monde en transition, dans lequel les institutions, les savoirs et les formes d’autorité doivent se réinventer à l’ère numérique.


Je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse qui puisse exprimer un grand-père, Petite Poucette et Petit Poucet.

Vers une mutation anthropologique


L’idée maîtresse de Petite Poucette repose sur une observation simple : les nouvelles technologies de l’information et de la communication modifient profondément notre rapport au monde, au savoir, à l’espace et au temps. Michel Serres désigne par « Petite Poucette » une figure symbolique de l’individu connecté, mobile, autonome et créatif, en rupture avec les modèles traditionnels de transmission du savoir et de l’autorité.


Selon Serres, nous vivons une grande transformation, une crise même, comparable à celle qui, à la Renaissance, a vu l’émergence de l’imprimerie et des universités. Mais aujourd’hui, la révolution numérique va encore plus loin : elle transforme jusqu’à nos façons d’apprendre, de communiquer et de coexister. L’école, l’université, la famille, les médias, toutes ces institutions héritées du XIXe ou du XXe siècle doivent désormais faire face à des individus qui ont un accès direct et quasi illimité à l’information.


Le philosophe ne se contente pas de constater ce changement de paradigme : il l’accueille avec enthousiasme. Loin de céder au catastrophisme technophobe, il y voit une opportunité inédite de repenser les structures sociales et politiques. L’intelligence ne réside plus uniquement dans les livres ou les bibliothèques, mais circule, se partage, se réinvente dans l’interaction numérique.


Voilà un problème politique, moral et juridique dont les solutions transforment notre horizon historique et culturel. Il peut en résulter un regroupement des partages socio-politiques par l’avènement d’un cinquième pouvoir, celui des données, indépendant des quatre autres, législatif, exécutif, juridique et médiatique.

Le savoir, l’école et la transmission à l’épreuve du numérique


L’un des enjeux fondamentaux que soulève Michel Serres dans Petite Poucette est celui de la transmission du savoir. À l’heure où chacun peut accéder en quelques clics à une quantité colossale d’informations, le rôle des institutions éducatives doit être repensé en profondeur. L’école et l’université ne peuvent plus se contenter de dispenser un savoir figé : leur mission devient celle d’apprendre à naviguer dans l’abondance, à trier, à relier, à comprendre.


Serres insiste sur le fait que les enseignants ne sont plus les seuls détenteurs du savoir. Cela ne signifie pas qu’ils deviennent inutiles, bien au contraire : ils deviennent des guides, des médiateurs, des éveilleurs de conscience. Leur tâche évolue : ils ne transmettent plus seulement des contenus, mais forment à la pensée critique, à la collaboration, à la créativité. En somme, ils enseignent à apprendre.


Dans cette nouvelle ère, la transmission devient moins verticale et plus horizontale. Les élèves ne reçoivent plus passivement le savoir, ils le construisent activement, souvent en réseaux, parfois en interaction avec d'autres sources que celles proposées par l’école. Michel Serres y voit une chance : celle de faire émerger une société plus autonome, moins hiérarchique, plus collaborative.


Petite Poucette ne propose pas une réforme technique de l’école, mais une révolution conceptuelle : celle qui consiste à reconnaître que l’enseignement ne peut rester figé alors que le monde bouge. Le défi est immense, mais l’opportunité est réelle — celle d’enseigner non plus seulement ce qu’il faut savoir, mais comment penser, comment chercher, comment créer dans un monde fluide.


Le seul acte intellectuel authentique, c’est l’invention.

Un essai un brin daté, mais toujours éclairant


Certes, cette réflexion peut sembler un peu datée, un peu naïve aussi. Un octogénaire, bien qu'éveillé aux nouvelles technologies, qui en parle, peut prêter à sourire. Mais ne nous y trompons pas, le cœur de l'analyse est, somme toute, plus que pertinent encore dans sa globalité. Néanmoins, l’optimisme qui se dégage de ces pages peut, par endroit, être sujet à débat. Si la connaissance est accessible en deux clics, sera-t-elle néanmoins toujours utilisée correctement ? Quid de l’esprit critique, de la réflexion de chaque individu ? Des questions qui sont toujours en suspens, d’autant plus que ces dernières années, non content de l’essor du numérique, nous voyons apparaître une autre révolution, dont la portée est encore difficilement imaginable : l’essor de l’intelligence artificielle. Mais, évidemment, Michel Serres ne pouvait s’en douter.  


L’intérêt principal de Petite Poucette réside donc dans sa capacité à éclairer notre époque sans céder à la nostalgie ni à la peur du changement. Techno-optimiste si on peut dire, Michel Serres invite à faire confiance à cette nouvelle génération, plus intuitive, plus libre, plus apte à naviguer dans un monde complexe. Il valorise l’inventivité et la responsabilité individuelle dans un monde désormais décentralisé.


Cet essai philosophique se distingue aussi par sa langue vivante, souvent métaphorique, éminemment poétique, accessible sans jamais être simpliste. Serres manie la métaphore avec brio : l’image de la « Petite Poucette » qui écrit avec ses pouces devient le fil conducteur d’une réflexion profonde sur l’évolution des rapports sociaux, du savoir et de la démocratie.


Enfin, Petite Poucette interpelle chacun d’entre nous. Que l’on soit enseignant, parent, étudiant ou simple citoyen, ce livre pousse à s’interroger sur la manière dont nous appréhendons les mutations en cours. Faut-il craindre l’effondrement des repères traditionnels ou, au contraire, y voir l’occasion de bâtir une société plus ouverte et participative ?


Je voudrais avoir dix-huit ans, l'âge de Petite Poucette et du Petit Poucet, puisque tout est à refaire, tout reste à inventer.

En somme, Petite Poucette est un court essai dans lequel un philosophe octogénaire nous offre son regard sur la génération qui apparaît à l’aube des années 2010. Une génération plongée dans le numérique, qui chamboule la plupart de nos repères. Pour Michel Serres, lui le professeur et amoureux du savoir et de la connaissance, le premier de nos repères à être impacté par l'avènement du digital, c’est évidemment l’enseignement. A l’aune de toutes ces transformations, dont la démocratisation du savoir en premier lieu, il nous invite à repenser notre rapport à la connaissance. Plus largement, loin de voir dans les crises engendrées par ces bouleversements une régression, il nous enjoint plutôt à faire confiance à ces jeunes, ces “Petits Poucets” et "Petites Poucettes”, pour imaginer un monde plus ouvert, moins hiérarchisé. Techno-optimiste, Michel Serres fait ici un état des lieux des changements profonds que notre société est en train de vivre en y plaçant ses espoirs. Certes, avec une écriture poétique, voire un brin exaltée et naïve, ce livre peut sembler un peu daté, ne serait-ce parce que l’émergence du numérique qu’il analysait il y a à peine une dizaine d’années vit déjà une nouvelle révolution, celle de l’intelligence artificielle, qui modifie déjà en profondeur la plupart de nos certitudes. Cela étant, Petite Poucette est un essai qui fait du bien : il représente un bel appel à la lucidité, à l’adaptation, mais aussi à l’enthousiasme face aux défis de notre temps. Michel Serres y propose une boussole philosophique pour mieux comprendre et accompagner les mutations de notre monde numérique et ses conséquences.

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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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