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L'Appel de la forêt - Jack London (1903)

  • Photo du rédacteur: Max
    Max
  • 26 août
  • 8 min de lecture

Un roman court mais puissant qui sonne comme un retour à la nature, au primitif, loin des hommes et de leur malveillance.


Un classique de la littérature jeunesse qui nous parle aussi à nous, adultes

L’Appel de la forêt, Jack London, Le Livre de Poche, 1986 (1903)

Buck, un chien domestique, est élevé dans une confortable maison de Californie. Capturé par un trafiquant de chiens de traîneau, il est brutalement confronté aux réalités du Grand Nord. Chaque jour devient une lutte face à la cruauté des hommes et à la rivalité de ses congénères. Mais dans cet environnement hostile, il connaîtra aussi un compagnonnage quasi mystique avec un nouveau maître.

Jack London offre ici un roman qui exalte la vie animale et, à travers elle, le besoin de liberté et le courage de l’aventure.

Tout grand lecteur est sans doute déjà tombé sur l’auteur américain Jack London. Auteur prolifique, la plupart de ses œuvres sont aujourd’hui lues et étudiées partout dans le monde. Le Loup des mers (1904), Croc-Blanc (1906) ou encore Martin Eden (1909) sont autant de romans qui ont durablement marqué la littérature américaine et mondiale.


Ici, nous allons revenir sur le livre qui l’a véritablement propulsé sur le devant de la scène : L’Appel de la forêt (1903). Ce bijou de littérature est à la frontière du roman et de la nouvelle, et cela se comprend aisément : avant la publication de ce court roman, Jack London avait publié de nombreuses nouvelles qui avaient néanmoins eu du mal à percer (il était d’ailleurs un grand admirateur d'Edgar Allan Poe). Ce livre est donc pour lui une forme de consécration : lui qui a toujours vécu dans la misère se retrouve rapidement comme l’un des écrivains américains les plus lus. Ce qui ne lui apportera pas non plus tant que ça puisque, pour l’anecdote, il vendit les droits de son roman pour une somme modique. 


Mais revenons à ce livre. Si l’Appel de la forêt est devenu au fil des décennies un livre phare de la littérature mondiale, c’est parce que sa lecture s’inscrit à des niveaux multiples. Souvent présenté comme un roman pour enfants, l’histoire de Buck ne peut s’y inscrire totalement. Même plus, circonscrire ce livre à de la littérature jeunesse serait passer à côté de toute la puissance de ce récit. Et c’est précisément ce que nous allons tenter de mettre en lumière ici.


Buck avait accepté la corde avec calme et dignité. Bien sûr, l’incident était inhabituel. Mais il faisait confiance aux hommes qu’il connaissait et il leur attribuait une sagesse bien supérieure à la sienne. 

Buck et son destin hors-norme


L’Appel de la forêt de Jack London est un roman d’aventure qui entraîne le lecteur dans les grands espaces du Klondike, au cœur de la ruée vers l’or. On y suit le destin de Buck, un chien domestique menant une vie confortable en Californie, jusqu’au jour où il est arraché à son foyer et vendu pour servir de chien de traîneau dans les régions glacées du Grand Nord canadien. Commence alors pour lui une existence rude, rythmée par la neige, la faim, les rivalités et la loi impitoyable des hommes comme des bêtes.


À travers les épreuves et les rencontres, Buck découvre en lui des forces insoupçonnées. Confronté à la violence, mais aussi à la solidarité d’une meute, il apprend à survivre et à s’imposer. Peu à peu, une voix intérieure, plus profonde que tout ce qu’il a connu auparavant, semble l’attirer vers une autre vie, plus libre, plus sauvage, presque primitive.


Roman court, mais intense, L’Appel de la forêt nous offre d’incroyables scènes. On pense ici notamment à celle, vraiment émouvante, dans laquelle le chien Dave, malade et au bord de la mort, continue de vouloir pousser le traîneau.


Il se savait vaincu, mais n’était pas dompté. Une fois pour toutes, il avait appris que, contre un gourdin, il ne pouvait rien. Il avait reçu une leçon qu’il ne devait jamais oublier. Ce gourdin était pour lui une révélation, une première initiation à un monde nouveau où régnait la loi primitive et qu’il accepta par compromis.

On comprend aisément pourquoi ce livre est un classique de la littérature jeunesse. L’histoire de Buck peut se lire dès le plus jeune âge (on ne peut que le conseiller), et nul doute que n’importe quel jeune lecteur se laissera emporter par les aventures de ce chien hors du commun. Mieux encore, ce livre pourra peut-être lui donner envie de continuer à lire, de découvrir d’autres histoires, d’autres livres, ce qui n’est jamais anodin. Et c’est précisément pour cette raison que ce roman doit, à mon sens, être lu dès que possible. D’une certaine manière, L’Appel de la forêt peut très vite se transformer en un appel vers la littérature, ce qui explique que ce livre soit devenu un classique.


Après tout, cette chronique pourrait très bien s’arrêter là. Les aventures de Buck sont si puissantes, si humaines (même pour celles d’un chien) qu’elles suffisent à elles-mêmes pour comprendre en quoi ce livre est fascinant. Néanmoins, à bien y regarder, avec le recul propre à l’âge adulte, ce roman peut aussi nous apporter quelque chose d’autre.


De la domesticité à l’état de nature : une régression


Ce roman, c’est avant tout celui de Buck, un chien. Un chien arraché à sa vie heureuse de Californie pour vivre, ou survivre, en tant que chien de traîneau dans le Grand Nord canadien aux conditions déplorables. Jack London s’inspire ici de son expérience dans le Grand Nord, au Yukon, lors de la ruée vers l’or du Klondike (il en repartira assez rapidement car atteint du scorbut).


Exploité par les hommes, Buck se voit contraint de tirer des charges considérables durant de longues périodes, sur des centaines de kilomètres, souffrant du froid et de la faim. Sa vie confortable vole ainsi en éclats et devient un véritable enfer, où seules la neige et la glace règnent en maîtresses.


C’est en ce sens que ce livre devient un roman initiatique dans lequel un chien quitte peu à peu son statut de chien domestique pour retourner à l’état de nature et devenir, en quelque sorte, un mythe. Ou plutôt, il s’agit d’un roman de désapprentissage, d’un retour vers la nature. La civilisation dans laquelle a grandi Buck disparaît peu à peu au profit d’une nature sauvage, féroce, mortelle.


Ce n’est pas seulement son environnement qui vit ce retour à la nature, c’est aussi Buck. Durant toutes ses aventures, ce chien exceptionnel vit une forme de régression vers l’état primitif, ou plutôt un retour aux sources. De manière diffuse, sous-jacente, on sent à travers la transformation de Buck les théories scientifiques nées au XIXème siècle que Jack London a lues, dont notamment la théorie de l’évolution de Darwin.


Lorsqu’il était encore civilisé, il aurait donné sa vie pour une question morale, par exemple défendre la cravache du juge Miller ! Aujourd’hui, qu’il fût capable de se dérober devant une obligation morale afin de sauver sa peau indiquait à quel point il était sorti de la civilisation.

L’Appel de la forêt devient ainsi un livre qui parle des lois de la nature : la nécessité de la lutte pour l’existence, la sélection naturelle, l’adaptation au milieu, l’hérédité, l’amoralité de la nature mais aussi une théorie plus nébuleuse, celle de la mémoire de l’espèce (portée d’abord par Samuel Butler).


Plus profonde est la mutation de Buck. S’il doit se battre pour survivre, son éthique et son sens moral s’en voient également profondément affectés ; ils finissent même par s’effacer au profit de la seule règle qui importe vraiment, là-bas dans ces paysages enneigés : s’adapter ou périr. Le plus fort l’emporte. C’est à travers ce point de vue qu’on voit apparaître une autre influence de Jack London : Friedrich Nietzsche, qui rejette les valeurs du christianisme et qui fait apparaître dans son œuvre l’idée de surhomme, être d’exception qui a son destin entre ses mains. Et Buck, d’une certaine manière, se forge ici son propre destin.


Cette idée se concrétise à la fin du roman. On l’a dit au-dessus, L’Appel de la forêt n’est autre que la transformation d’un chien domestique en une sorte de mythe. Une fois que la civilisation n’a plus d’emprise sur Buck, une fois que la dernière branche à laquelle il se raccrochait disparaît, Buck cède pleinement à cet appel. C’est d’ailleurs à ce moment, lors des toutes dernières pages, que le récit devient plus lyrique. Jusqu’alors très réaliste, la plume de London transforme le récit en une sorte de songe, de rêve, dans lequel Buck finit par devenir une légende de la forêt.


Du fond de la forêt un appel lui parvenait, mystérieux, émouvant, attrayant, et à chaque occasion, il se sentait contraint de se détourner du feu et de la terre battue tout autour.

Derrière l’histoire du chien : un regard sur les hommes


Si cette histoire est avant tout celle d’un chien, comment ne pas voir que derrière elle se cache un point de vue sur les hommes ?


À travers les yeux de Buck, se sont les hommes qui sont dépeints. Non content d’humaniser un chien, de le rendre aussi humain sinon plus humain qu’un homme, Jack London décrit l’humanité du point de vue de Buck : la plupart apparaissent ainsi dans le récit à travers leur caractère, leur rapport au chien, mais aussi grâce à ce qu’ils portent (notamment le fameux homme au gourdin, gourdin qui restera un élément important du récit).


Buck a cependant un rapport ambivalent avec les hommes : ce sont eux qui l’ont réduit en esclavage, ou du moins forcé à un retour vers son animalité la plus profonde. On voit d’ailleurs que London a mis de lui dans ce livre : lui-même a vécu des injustices, a été emprisonné, ce qu'il fait inconsciemment vivre à son chien. Mais Buck éprouve aussi un amour et une dévotion sans faille pour Thornton. C’est d’ailleurs ce même Thornton qui représente la dernière barrière entre Buck et son retour à sa primitivité : Thornton est la dernière branche de civilisation à laquelle Buck se raccroche avant de définitivement céder à l’appel de la forêt.


Enfin, L’Appel de la forêt donne aussi à voir une facette de l’Amérique : celle qui, encore jeune à la fin du XIXème siècle, rêvait de conquête, d’or, de richesse et d’aventures. Celle qui, aussi, vivait d’incroyables disparités. Ce livre est une forme d’allégorie : à travers les histoires de Buck, London parle de ses contemporains, plongés dans le confort de leur petite vie citadine alors que d’autres partent dans la misère à la recherche d’une hypothétique manne financière.


Bref, ce livre, aussi court soit-il, peut se lire de plusieurs manières, peut nous apporter à nous, lecteurs, un grand moment de lecture. C’est peut-être à cela qu’on reconnaît un grand roman.


Il avait tué l’Homme, le plus noble de tous les gibiers, et il avait tué en défiant la loi des crocs et du gourdin.

On comprend aisément pourquoi ce livre est devenu un classique de la littérature. D’abord et avant tout parce qu’il peut se lire très jeune, et donc donner envie de lire et de poursuivre l’aventure de la littérature à de nombreux jeunes gens (c’est pour cela qu’on ne peut que le conseiller). Mais circonscrire ce court roman à de la littérature jeunesse serait sans doute passer à côté d’une lecture plus profonde. Avec le recul propre à l’âge adulte, on s’aperçoit que L’Appel de la forêt est aussi une formidable ode à la nature. À travers ses aventures et ses voyages éprouvants dans le Grand Nord canadien, Buck vit une forme de régression, de retour à son état primitif. Ce roman est, de ce point de vue, un roman initiatique ou plutôt de désapprentissage dans lequel Buck perd peu à peu pied avec la domesticité, avec la civilisation, au profit de ce que Jack London nous montre être sa véritable nature : celle d’un chien sauvage qui doit suivre la seule et unique règle qui vaille là-bas, dans ces paysages enneigés : s’adapter ou périr. Et quand il vient à perdre la seule chose qui le ramène à la réalité humaine de ce monde, Buck cède alors à cet appel de plus en plus puissant : celui qui le ramène à son état de chien sauvage, émancipé de toute éthique et de tout sens moral. Il devient ainsi, plus qu’un chien, une légende de la forêt. Au-delà de l’histoire de Buck, Jack London nous offre aussi un regard assez sombre sur l’humanité. Bref, bien plus qu’un simple roman, L’Appel de la forêt est aussi un appel vers la littérature : celle qui nous émeut et nous hante pendant longtemps.


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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