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Le Discours de la méthode, René Descartes (1637)

Avec ce petit essai, Descartes crée une rupture fondamentale dans la philosophie occidentale, annonçant par son cogito les fondements de la pensée moderne.


Le livre le plus connu de Descartes, fondateur de la philosophie moderne

Le Discours de la méthode, René Descartes, Folio plus philosophie, 2009 (1637)



Qu’est-ce que la pensée cartésienne ? Si le philosophe est aujourd’hui si connu, au point d’avoir fait de sa pensée une caricature de ce qu’est être français, le fameux “esprit cartésien”, c’est parce que le petit traité que représente le Discours de la méthode représente les prémisses de la pensée moderne avec l'avènement des sciences. Bien plus qu’une simple méthodologie qui énonce les grands principes qui doivent motiver notre réflexion pour “nous bien conduire, par l’usage de la raison”, ce texte de Descartes représente une rupture nette dans l’histoire des idées.


Ce petit essai est le fruit d’une réflexion que Descartes a mené pendant plusieurs années et dont il nous présente le cheminement de manière rétrospective. Conscient des limites des enseignements qui lui sont prodigués, en particulier de la scolastique (la philosophie alors en usage au Moyen-Âge qui vise à conjuguer la pensée grecque antique et la théologie chrétienne) trop “spéculative”, Descartes se lance alors dans une quête pour trouver une méthode simple et applicable dans tous les domaines (mathématiques, physique, métaphysique…) avec un seul objectif : arriver à la vérité grâce à la raison.


“Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont”.

Pour commencer, le philosophe fait ce constat, non sans une pointe d’ironie. Lui, n’en ayant pas moins qu’un autre, décide de le mettre à l’épreuve en s'initiant plus ou moins à toutes les disciplines qui puissent alors être étudiées, parfois même les plus loufoques : astrologie, magie, alchimie… En ouvrant ainsi son domaine de connaissance, et n’ayant de cesse de satisfaire sa soif d’apprendre, il souhaite distinguer par lui-même le vrai du faux, en faisant abstraction de ce qui a pu lui être enseigné et en mettant de côté les opinions des autres. C’est dans cette perspective, et en s’appuyant sur sa discipline de prédilection, à savoir les mathématiques, qu’il développe sa méthode, celle qui peut être résumée en ces quatre règles :


  1. La règle de l’évidence : “Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment telle”. En d’autres termes, il convient de se défaire de toutes nos opinions qui ne résistent au doute, d’examiner chaque énoncé de manière à éviter toute précipitation. C’est ainsi qu’il développe sa définition de l’idée vraie, qui doit être claire et distincte. C’est sur l’évidence de cette idée que se fonde une certitude, qui nous permet ensuite d’avance dans notre raisonnement.

  2. La règle de l’analyse : “Diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour mieux les comprendre”. Pour résoudre un problème, découpons-le en plusieurs éléments simples, pour ensuite les examiner de manière distincte.

  3. La règle de la synthèse : “Conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusqu'à la connaissance des plus composés”. Une fois que nous avons distingué les éléments simples, rassemblons-les par ordre afin d’arriver à l’élément le plus difficile.

  4. La règle du dénombrement : “Faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre”. Autrement dit, s’assurer de ne rien avoir oublié.

“Je pensais que je ne pouvais mieux que de continuer d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m'étais prescrite »

De cette méthode, Descartes en tire ce qu’il appelle une “morale par provision”, c’est-à-dire une morale qu’il s’applique en attendant de trouver mieux. Cette morale repose sur quelques maximes que voici :


  • “La première était d'obéir aux lois et aux coutumes de mon pays”.

  • “Ma seconde maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais”.

  • “Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'origine du monde”.


Que retenir de cette morale cartésienne ? D’abord, sans doute de manière légèrement paradoxale, et alors que sa méthode met en avant un doute quasi absolu puisqu’il préconise de douter de tout en toute circonstance, il convient de noter que la morale par provision de Descartes relève d’une forme de modération quand il faut passer de la théorie à la pratique. Même si ne pas douter ne veut pas forcément dire obéir, il semble que Descartes soit plutôt indulgent vis-à-vis des dogmes de l’époque. Pour expliquer la crainte qu’une remise en cause de certaines idées de son époque puisse susciter en lui et la prudence que cela engendre chez lui, il convient de donner le contexte de la rédaction du Discours de la méthode : c’est l’époque du procès de Galilée. On peut donc aisément comprendre la prudence de Descartes lorsqu’il doit évoquer les croyances de ses contemporains. Ce qui ne l’empêche pas néanmoins de revendiquer une résolution sans faille dans ses actes comme dans ses prises de positions. Sans tomber dans une obstination sans réserve (Descartes a horreur des extrêmes), il remarque que pour avancer, le doute perpétuel est paralysant et doit être proscrit : autrement dit, même si nous n’avons pas une certitude absolu dans ce que nous faisons, faisons-le quand même, quitte à nous tromper ; c’est toujours mieux que de ne rien faire. Enfin, notons l’influence stoïcienne dans sa dernière maxime : formule qui n’est pas sans rappeler celle attribuée à Epictète : “il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui ne dépendent pas de nous”.


“Et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais”.

Si cette méthode peut sembler sans doute un peu austère, trop théorique, on peut néanmoins faire la remarque suivante : si on doit douter d’absolument tout, il faut néanmoins partir d’une vérité inébranlable qui nous éviterait de tomber dans un total relativisme, ne considérant dès lors plus rien de vrai. En d’autres termes, quelle est l’assertion absolument vraie sur laquelle tout raisonnement doit se fonder ? Et pour Descartes, c’est le fameux cogito ergo sum : “je pense, donc je suis”. De cette affirmation découle toute sa philosophie, et sa méthode peut dès lors s’appliquer. Mais quelle est l’implication d’une pareille formule ?


Avec le “je pense, donc je suis” Descartes affirme sans détour le fait qu’il est un être pensant, mais surtout, qu’il est un être à la première personne. Il affiche de ce fait sa singularité en tant qu’individu. Dans le sillage de Montaigne un siècle auparavant, Descartes rompt avec la tradition scolastique qui faisait de la philosophie à la troisième personne. Mais surtout, par le cogito, Descartes assoit le principe même de connaissance dans le “je”, le transformant en seul véritable espace de la connaissance. Toute sa philosophie et sa méthode repose sur l’être pensant, c'est-à-dire qui se pense à la première personne. Le sujet redevient de ce fait le centre de la philosophie.


“Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.”

C’est ainsi que le Discours de la méthode est devenu un élément fondateur de la philosophie moderne. D’une part, parce que Descartes met à travers ce livre au premier plan les sciences, choses que la modernité développera, parfois à outrance, par la suite. A la vue des résultats remarquables que sa méthode lui apporte, et sans doute ayant également l’intuition qu’à son époque, le savoir des sciences et plus généralement la connaissance dans son ensemble n’étaient qu’à leurs prémisses, il invite à les développer tant il reste de choses à découvrir. Certes, sa théorie de la circulation du sang qu’il précise longuement dans ce livre s’est avérée inexacte, mais là aussi, son intuition est remarquable : les sciences sont un moyen d’améliorer grandement la “conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie”. S’il y a bien un domaine où les sciences ont toute leur place, c’est bien celui de la santé, de la médecine.


Mais si le Discours de la méthode a eu un tel écho dans l’histoire de la pensée et de la philosophie, c’est sans doute à cause du recentrage qu’il fait sur le sujet et sur la raison. En témoigne sa théorie des “animaux-machines”. Pour lui, les animaux, étant dénués de raison, de subjectivité et donc d’âme, sont comparables à des machines : ils ne réagissent que grâce à la disposition de leurs organes, presque par réflexes, par automatismes. Mais en mettant le “je” au centre de la philosophie, il trace de ce fait une distinction, sans doute inconsciente, entre les êtres dotés de raison, de logos, (les hommes) et le reste des êtres vivants. Et toute la philosophie moderne repose sur cette différence de nature entre les hommes et les animaux. Revers de la médaille sans doute, mais l’inspiration géniale de Descartes, le fameux cogito cartésien, ces quelques mots ont globalement contribué à sortir l’Homme de la Nature, créant de ce fait une séparation presque irréversible entre eux, séparation aujourd’hui grandement remise en question.



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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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