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Le Spectateur engagé, Raymond Aron (1981)

Ce livre n'est pas seulement une initiation à l'incroyable originalité de la pensée de Raymond Aron, c'est aussi une formidable plongée dans l'Histoire du XXème siècle que l'on redécouvre à travers ses yeux.


Un livre qui nous plonge dans l'Histoire du XXème siècle à travers les yeux d'un philosophe
 

Le Spectateur engagé, Raymond Aron, Le livre de Poche (1981)


Raymond Aron est inclassable. Intellectuel anticonformiste, il est allé à contre-courant des idées dominantes de l’intelligentsia de gauche. Il a eu raison avant les autres sur la nature du régime soviétique, du stalinisme. Et dans les années 1950, il a eu le courage de tenir sa position, tout en accomplissant une œuvre scientifique indiscutée.

Dans ces entretiens avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton, Raymond Aron retrace son itinéraire politique et intellectuel. Il analyse les grands événements qu’il a vécus en un demi-siècle, de l’arrivée de Hitler au pouvoir à Mai 68, sans oublier ses polémiques avec Sartre et Merleau-Ponty.

Plaidoyer pour la démocratie occidentale, Le Spectateur engagé nous révèle aussi une personnalité complexe, lucide, et passionnée.


 

Le Spectateur engagé reprend sous la forme d’un livre les trois entretiens télévisés que Raymond Aron a eu avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton. Dans ces échanges sont évoqués à la fois la vie de ce philosophe atypique, mais également son cheminement politique qui l’a amené à s’engager, souvent à contre-courant, dans la plupart des combats politiques de son temps : montée de l’hitlérisme, Front Populaire, Seconde-Guerre Mondiale, communisme, la Guerre Froide, décolonisation etc… En total désaccord avec l’intelligentsia de gauche de l’époque alors largement dominante, Raymond Aron a choisi de défendre une “société démocratique-libérale”, quitte à s’opposer sèchement avec Maurice Merleau-Ponty et surtout avec Jean-Paul Sartre, eux qui, ayant pourtant fait leurs études ensemble, ont fini par se brouiller de manière irréversible. A travers ses combats, ses doutes parfois, le philosophe libéral qui “avait eu raison avant les autres” sur le régime soviétique se livre sans détour et justifie chacune de ses prises de positions. Mais bien plus qu’une introduction à la pensée philosophique et politique de Raymond Aron, c’est toute l’Histoire du XXème siècle ou presque que l’on redécouvre dans ce livre.


“Pour penser politiquement dans une société, il faut d'abord faire un choix fondamental. Ce choix fondamental c'est l'acceptation de la sorte de société dans laquelle nous vivons, ou bien son refus. Ou bien on est révolutionnaire, ou bien on ne l'est pas. Si on est révolutionnaire, si on refuse la société dans laquelle on vit, on choisit la violence et l'aventure. A partir de ce choix fondamental, il y a des décisions, et des décisions ponctuelles, par lesquelles l'individu se définit lui-même.”

Dès le début des années 30, face à la montée de l’hitlérisme, Aron commence à se concentrer sur la philosophie politique, sur celle de l’histoire, et construit sa pensée à partir des faits et des événements historiques qu’il vivait. Si Sartre et les autres intellectuels de gauche ont très tôt défini leur pensée et leurs engagement en fonction d’une idéologie, celle du communisme, Aron, lui, n’a jamais voulu indexer la réalité à une idéologie, bien au contraire. C’est pour cela qu’il a mené pendant plus de trente-cinq ans une activité journalistique, pour suivre avec assiduité le jeu géopolitique des grandes puissances et pour comprendre l’histoire en train de se faire : “history as usual” ou, pour reprendre une phrase de Toynbee qu’il appréciait : “History is again on the move”. Et contrairement à la plupart des intellectuels de son temps, Aron a fait le choix d’accepter la société dans laquelle il vivait, en sachant pertinemment que toutes sociétés humaines et par définition imparfaites.


“Avoir des opinions politiques, ce n'est pas avoir une fois pour toutes une idéologie, c'est prendre des décisions justes dans des circonstances qui changent.”

A l'image de Tocqueville en son temps, Aron a grandement contribué à développer une philosophie politique originale pour son époque. Depuis les années 1930, une question taraude Aron : “Que ferais-je si j’étais à la place des dirigeants ?”. Dans chacune de ses analyses, il essaie de balayer toute forme d’idéologie pour se consacrer exclusivement aux faits, et par suite penser la politique de manière juste, lucide, et sans affect. On le taxera d’ailleurs souvent de personnage froid et un brin austère. La seule chose qu’il craint en politique, et pour un philosophe du milieu de XXème siècle, on peut le comprendre, c’est de sombrer dans une nouvelle forme de totalitarisme. Certains des plus grands esprits de son temps ont franchi ce pas (en justifiant et légitimant les goulags soviétiques par exemple), et lui s’y refuse catégoriquement. C’est ainsi qu’il fut l’un des premiers à dénoncer le régime soviétique (chose qui aujourd’hui va de soi, mais qui, à la fin des années 1940 et au début des années 1950, était loin d’être évidente).


On voit de cette manière apparaître chez Aron une conception de l’Histoire qui va à contre-courant de celle de la plupart de ses penseurs contemporains. Pour lui, et contrairement aux thèses marxistes, l’histoire n’est pas pré-déterminée, n’est pas orientée, et son sens et encore moins écrit à l’avance. D’une certaine manière, Aron a une conception relativiste de l’histoire : elle dépend des actions et des choix des hommes qui l’a font. Il laisse une grande place aux concepts de liberté et de libre-arbitre dans sa philosophie, allant même jusqu’à affirmer : “J'ai eu tendance souvent à penser que l'ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l'Histoire”.


“Tous les combats politiques sont douteux. Ce n'est jamais la lutte entre le bien et le mal, c'est le préférable contre le détestable.”

Si Aron fut un intellectuel si solitaire, ni véritablement de gauche, ni totalement de droite, c’est avant tout parce qu’il refusait d’associer la morale à la politique. Pour lui, il s’agissait de deux choses différentes : les catégories morales qui peuvent s’appliquer à certaines activités humaines ne sont pas de mises en politique. Où plutôt, la morale seule, les droits de l’homme seuls, ne peuvent être les fondements de la politique. Car pour lui, la politique n’est pas une lutte entre le bien et le mal, mais c’est faire des choix entre le “préférable” et le “détestable”, le “possible” et le “souhaitable”. C’est pour cette raison que Raymond Aron prit position dans la plupart des combats de son temps en invoquant à chaque fois des arguments relevant uniquement de la raison. Par exemple, il choisit de défendre l’indépendance de l’Algérie non pas en fondant son raisonnement sur des arguments moraux, mais en montrant comment économiquement et politiquement l’Algérie française n’était plus soutenable.


L’isolement intellectuel que vécu Aron durant la plus grande partie de sa vie est également dû à sa défense de l’occidentalisme libéral et à son atlantisme. En effet, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, il s’aperçut très rapidement que la France devait faire un choix : le capitalisme libéral des Etats-Unis ou le communisme soviétique. Et contrairement à de nombreux intellectuels qui choisirent de défendre une troisième voie hypothétique, neutre, penchant dangereusement vers l’URSS, quand certains même y adhéraient franchement, Aron fut catégorique : le libéralisme est la seule voie compatible avec la démocratie. C’est en préservant les libertés que la démocratie est possible. Mais il s’agit pour lui non pas d’une totale adhésion, mais plutôt d’un moyen d’éviter la violence et toute forme de révolution car, en effet, ce dont il avait le plus peur, c’était d’une guerre civile : "le pire, pour moi, pour un pays, c'est la guerre civile”. Et au XXème siècle, ce que promettait le communisme, ce n’était rien d’autre qu’une révolution. En revanche, et même si son choix fut clair, il semble erroné de croire qu’il défendait absolument et aveuglément le libéralisme ; comme à chaque fois avec Aron, la nuance et la subtilité sont de mises pour comprendre sa pensée. Plusieurs de ses prises de positions permettraient sans doute de définir le libéralisme d’Aron comme un “libéralisme socialisant”, lui qui dira qu’il n’a jamais véritablement dérogé au système de valeurs de sa jeunesse qui l’avait fait sympathisé avec le socialisme.


“En politique, on ne peut pas démontrer la vérité, mais on peut essayer, à partir de ce que l'on sait, de prendre des décisions raisonnables.”

Mais alors, que retenir du Spectateur engagé de Raymond Aron ? D’abord et avant tout, le souci permanent de la nuance et de la contextualisation en matière de politique et d’histoire. Contre tout dogmatisme et idéologie, Aron fut l’un des penseurs les plus pertinents de son temps, ce qui l’a d’ailleurs longtemps marginalisé. L’unité et la cohérence de sa pensée sont au service de la liberté, concept qu’il a défendu sans relâche à travers tous ses combats. Son analyse d’une rigueur remarquable l’a conduit à se positionner presque à chaque fois du côté de la vérité et de la raison dans les combats de son temps. Car pour lui, rien ne vaut la recherche de la liberté et de la vérité, chose qui n’est faisable en politique qu’en s’appuyant sur la raison.


“Quand j'étais assistant à l'Université de Cologne, j'avais décidé d'être un "spectateur engagé". A la fois le spectateur de l'histoire se faisant, de m'efforcer d'être aussi objectif que possible à l'égard de l'histoire qui se fait et en même temps de ne pas être totalement détaché, d'être engagé; Je voulais combiner la double attitude d'acteur ou de spectateur.”

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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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