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  • Photo du rédacteurMax

La Chasse, Bernard Minier (2021)


Un excellent polar où son auteur exorcise ses angoisses. Encore une fois, une très bonne enquête de Martin Servaz et son équipe.



 

La Chasse, Bernard Minier, XO Editions, 2021

Sous le halo de la pleine lune, un cerf surgit de la forêt. L’animal a des yeux humains. Ce n’est pas une bête sauvage qui a été chassée dans les forêts de l’Ariège…

Dans ce thriller implacable au final renversant, Bernard Minier s’empare des dérives de notre époque. Manipulations, violences, règlements de comptes, un roman d’une actualité brûlante sur les sentiers de la peur.

Une enquête où Martin Servaz joue son honneur autant que sa peau.

 

Arrivé sur la scène du polar et du thriller français sur le tard (il avait plus de de 50 ans lors de la publication de son premier roman, Glacé, 2011), Bernard Minier a su en quelques années devenir l’un des auteurs contemporains les plus lus en France. Preuve en est le classement 2020 du Figaro des 10 auteurs francophones les plus lus cette année-là : en 2020, Bernard Minier arrive à la septième place avec plus de 620 000 exemplaires de ses livres écoulés. Une très belle performance.


Mais où situer l'œuvre récente de cet auteur dans le paysage du polar français et contemporain ? Comme bon nombre des thrillers qui sortent en France, Bernard Minier s’accroche à un réalisme extrêmement détaillé, à une volonté assumée de plonger ses lecteurs au coeur du quotidien des policiers, à des personnages torturés d’une noirceur déconcertante… bref, sur de nombreux points, il se rapproche d’autres grands noms de la littérature noire. Pourtant, outre son obsession à vouloir faire de ses récits des échos de notre société actuelle, ce qui distingue Minier avant tout de la plupart de ses homologues (Thilliez, Chattam, Grangé, etc…), c’est sans doute l’amour et l’intérêt qu’il porte à son sud-ouest natal. Car oui, vous l’ignoriez peut-être : la majeure partie des romans de Minier trouvent leur décors à Toulouse et dans la campagne pyrénéenne. Si les histoires parisiennes commencent à vous agacer, voici un univers qui pourra vous dépayser !


Après cette longue mais non moins intéressante (je l’espère) introduction, venons-en si vous le voulez bien au roman dont il est question ici : La Chasse… Paru en 2021, il s’agit, à date, du dernier livre qui met en scène l’inspecteur phare de Minier : Martin Servaz. Et autant le dire d’entrée, le titre de ce roman est parfait tant il reflète à la perfection l’objet-même de ce livre… Mais de quoi parle-t-il au juste ?


Époque de virus. Punitive, mortifère, purificatrice, qui avait trouvé son symbole : le masque. Posé comme un bâillon, comme le signe de reconnaissance d’une société muselée, hygiénisée, et aussi perdue et aux abois…

Pour le grand amateur de polar que je suis, La Chasse commence de la plus belle des manière : une scène d’introduction aussi terrifiante que fascinante : par une sombre nuit d’automne, sur une route absolument perdu d'Ariège, un jeune homme noir sort brusquement de la forêt devant les phares d’un automobiliste, nu et avec une flèche plantée dans le torse. Il est déjà trop tard : la voiture ne peut s’arrêter et le percute de plein fouet. Qui est-il ? D’où venait-il ? Et surtout, pourquoi était-il chassé tel un animal ? Autant de questions qui structureront une bonne partie de ce récit.


Le décor est posé. Pour la suite, La Chasse nous plonge dans une folle enquête policière en plein confinement. Alors que les tensions sociales sont exacerbées par les mesures gouvernementales prises pour lutter contre la pandémie, Servaz et son équipe doivent malgré tout tenter de comprendre ce qui s’est joué cette nuit-là. Et quand les indices les mènent sur d’autres cas similaires, la tension s’empare de nous. Et s’il s’agissait, non pas d’un cas isolé, mais bel et bien d’une série de meurtres ?


Sans entrer dans les détails et les subtilités de ce roman, il me semble qu’il s’agit là du premier roman véritablement engagé de Bernard Minier. Si ses romans précédents ont tous abordés d’une manière ou d’une autre les injustices vécues par une partie de la population, si tous ses livres nous ont donné une photographie plutôt pertinente de l’état désastreux dans lequel se trouve parfois notre société, je crois que La Chasse est le premier récit dans lequel l’auteur nous donne son sentiment. Non pas qu’il partage ainsi son avis sur certaines questions sociétales, mais à la lecture de ce livre, on peut sentir la profonde inquiétude qui le tourmentait au moment du processus d’écriture. Dans ce roman, Minier nous décrit une société au bord de l’implosion. Et il s’agit d’une idée qui semble profondément l’inquiéter.


Il regrettait qu’il y eût une hiérarchie dans l'indignation comme dans la haine. Mais il savait que c’était dans l’ordre des choses. Depuis toujours, dans les films comme dans la littérature, le flic était l’ennemi de classe, le bras armé de l’Etat, le symbole de la répression. Et de fait, c’est ce qu’il avait été pendant des siècles et continuait d’être à certaines occasions.

C’est pour cela qu’ici, dans ce livre peut-être plus que dans tout autre, l’intrigue semble avoir été mise au second plan au profit d’une cartographie presque sociologique de notre société contemporaine. Entre minorités discriminées, flics sans moyens et au bout du rouleau, extrémistes décomplexés de tout bord en plein expansion, une pandémie et ses conséquences qui paupérisent une population déjà bien malmenée… c’est toute la société qui se trouve passé au crible de la plume de Bernard Minier. Le résultat ? De nombreux sujets sociétaux sont abordés de manière intelligente, sans concession, avec beaucoup de lucidité, et aucunement moraliste. Une sacrée prouesse. Néanmoins, comme évoqué précédemment, l’intrigue en pâtit. Si la première partie du récit est plutôt bien conçue, menée à un rythme effréné, aux multiples rebondissements, force est de constater, je crois, que la deuxième partie est plus bancale. La faute peut-être à la révélation des antagonistes et de leurs motivations qui arrive à mon sens bien trop tôt, tuant tout suspense. Cette deuxième partie apparaît donc comme un prétexte pour traiter (et, sans doute aussi, exorciser) les grandes inquiétudes de l’auteur, lui permettant de coucher sur papier l’origine de ses angoisses et de mettre des mots sur les nombreuses tensions qu’il sent monter tout autour de lui. Si je ne remets bien évidemment pas en cause cette volonté plus que louable de vouloir dresser un tableau au plus près du réel, il m’est apparu néanmoins dommage que cela nuise à la structure du récit. Tant pis.


Plus personne ne voulait être flic désormais. Ce métier était devenu le bouc émissaire de toutes les frustrations et de toutes les rancœurs.

Car oui, malgré tout, il s’agit d’un très bon roman, qui se lit avec grand plaisir et qui charrie avec lui son lot de suspense, de tension et de mystère. Un excellent roman policier, donc.


La Chasse est un très bon cru de Bernard Minier. Comme à son habitude, il sait dès les premières pages de ce livre nous captiver et nous plonger d’entrée dans une nouvelle enquête de Servaz que l’on retrouve avec plaisir. La scène d’ouverture est suffisamment terrifiante et fascinante pour nous donner envie d’en savoir plus et suivre, le temps du roman, l’enquête de son inspecteur fétiche. Cela étant dit, si la première partie du livre tient toutes ses promesses, il m’a semblé que la seconde, en revanche, était un peu plus bancale. Une fois la plupart des enjeux révélés, le reste de ce roman m’a paru être une forme de prétexte et l’occasion pour son auteur d’exorciser ses angoisses. Car on le sent, à travers la précision quasi sociologique avec laquelle Minier dresse le portrait de notre société fracturée, au bord du gouffre, ce sont surtout ses inquiétudes qu’il met sur papier. De nombreux sujets sociétaux sont ainsi abordés de manière intelligente, sans concession, avec beaucoup de lucidité, et aucunement moraliste. Une petite prouesse. De manière plus générale, il s’agit tout de même d’un excellent polar, à l’image des autres enquêtes de Servaz. Et c’est bien là l’essentiel.


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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