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Les Effacées - Bernard Minier (2024)

Bien que ce nouveau polar reste d'excellente facture, à l'image des précédents romans de son auteur, il reste, une fois le livre refermé, un sentiment un brin mitigé.

Un très bon thriller malgré une dernière partie un brin poussive.
 

Les Effacées, Bernard Minier, XO Editions, 2024

DEUX TUEURS. DEUX MONDES

UNE DOUBLE MENACE

En Galice, un tueur kidnappe des femmes qui se lèvent tôt pour aller travailler. Des invisibles. Des effacées.

À Madrid, un autre assassin s’en prend à des milliardaires et laisse sur les murs de leurs résidences ce message : « TUONS LES RICHES ».

Deux tueurs. Deux mondes. Et le spectre d’un embrasement général, d’une confrontation de classes inédite et explosive.

Les enjeux, qui se dévoilent peu à peu à Lucia Guerrero, enquêtrice de la Guardia civil, sont vertigineux.

Quand, à son tour, elle reçoit les messages d’un expéditeur anonyme, la question se pose : serait-elle devenue un simple jouet entre les mains des deux tueurs ?

 

En un peu plus d’une dizaine d’années, Bernard Minier est devenu l’un des plus emblématiques auteurs français de thrillers. Son premier roman, Glacé, avait su séduire autant la critique que les lecteurs, le propulsant rapidement sur le devant de la scène aux côtés d’autres grands noms du genre : Maxime Chattam, Franck Thilliez ou encore Jean-Christophe Grangé pour n’en citer que quelques-uns. Auteur plutôt prolifique (il sort environ un livre par an désormais), et grâce à son personnage fétiche, Martin Servaz, il a su délocaliser ses histoires dans le Sud-Ouest, notamment à Toulouse et ses environs, apportant ainsi un vent de fraîcheur dans le genre, région qui n’avait été que peu représentée jusqu’ici.


Or, avec ce nouveau roman, Les Effacées, Bernard Minier continue le travail qu’il a commencé à esquisser dans un précédent livre, Lucia, paru en 2022 : installer un nouveau personnage qui sera vraisemblablement au coeur de ses prochains ouvrages, Lucia Guerrero, flic au sein de la Guardia Civil. Une parenthèse qui permet à l’auteur de quitter la France pour installer ses intrigues en Espagne. Cela étant dit, ne soyez pas inquiet, ce second tome peut tout à fait être lu indépendamment du précédent. Minier ne fait qu’évoquer de temps en autre le premier tome, ce qui n’empêche en rien la bonne compréhension de ce second livre, l’enquête, ou devrais-je dire, les enquêtes, étant indépendantes.


Alors que vaut ce livre de Bernard Minier ? Réponse dans cette chronique !


En sortant sur le balcon pour contempler la rue endormie, elle se répéta ce qu’elle s’était dit plus tôt dans la journée : elle n’avait pas affaire à un mais à deux tueurs redoutables. Un qui haïssait les femmes. L’autre qui détestait les riches.

Des thématiques chères à son auteur


Bernard Minier aime plonger ses lecteurs au cœur des enquêtes dès les premières pages. Ce livre ne déroge donc pas à la règle. Lucia Guerrero a été dépêchée en Galice, au nord de l’Espagne, pour retrouver un tueur en série : de jeunes femmes issues des classes populaires sont enlevées alors qu’elles se rendaient au travail, et retrouvées mortes cinq jours plus tard. En parallèle, une femme faisant partie de la haute bourgeoisie espagnole a été retrouvée morte dans d’affreuses circonstances, avec la phrase « TUONS LES RICHES » inscrite sur les lieux du crime. Cette dernière victime étant particulièrement connue, elle est renvoyée à Madrid pour s’occuper personnellement de cette affaire sordide. Y a-t-il deux tueurs en série qui séviraient en même temps ?


Voilà, en quelques lignes, le point de départ de cette double enquête. Bernard Minier confronte ainsi son héroïne à deux modes opératoires distincts, mais qui entrent en écho l’un avec l’autre : un tueur de femmes oubliées, effacées de la société, quand un autre s’en prend à des riches. 


Dès ses débuts peut-être, et encore plus depuis quelques romans, dont notamment La Chasse (2021), Bernard Minier fait résonner ses romans avec l’actualité, immiscent en leur sein ses inquiétudes et la grille de lecture qu’il a de notre société contemporaine. On ne peut donc pas être surpris de le voir traiter, dans ce nouveau roman, des thématiques qui lui sont chères, analysant à travers elles notre modernité. 


Tout écrivain est un observateur du monde, et Bernard Minier le confirme une fois de plus. En bon romancier, il utilise la tension qu’il voit monter au sein de la société pour rendre son roman encore plus réaliste. L’agitation que suscite cette inscription anti-riches au sein de la société espagnole sous sa plume est ainsi une référence à peine masquée au mouvement des Gilets Jaunes que nous avons connu en France il y a de cela quelques années. 


Soucieux des classes populaires et des laissés pour compte, il choisit de mettre en confrontation deux enquêtes que tout oppose : d’un côté, de jeunes femmes modestes sont assassinées, et de l'autre, des personnalités espagnoles ultra-riches. Un contraste si flagrant qui ne peut que créer dans l’esprit de son enquêtrice, Lucia, un dilemme moral pour lequel il est difficile de trancher : enquêter sur les meurtres de riches, comme lui demande sa direction, ou faire en sorte de retrouver le coupable des meurtres des jeunes femmes ? Mais toutes les victimes ne se valent-elles pas après tout ?


Lucia se dit que, sur Internet, de nouvelles mythologies remplaçaient chaque jour les anciennes.

Une atmosphère sombre et une tension omniprésente


Tous ceux qui ont déjà lu Bernard Minier ne seront pas surpris de retrouver dans ce livre la plupart des aspects qui ont contribué à le faire connaître : l’ambiance y est particulièrement noire, poisseuse, glaciale, les enquêtes se déroulant en plein hiver. 


Bien que les paysages montagnards des contreforts pyrénéens aient laissé place à un environnement plus urbain, Bernard Minier reste fidèle à son style. Les dialogues y sont extrêmement bien ciselés, d’une efficacité redoutable. Les chapitres aussi courts qu’intenses, ne faisant qu’exacerber la tension qui ne peut que régner dans pareilles circonstances, donnent une impression de course contre-la-montre. Car il s’agit au fond de cela lorsque les enquêteurs sont aux prises avec des tueurs en série : être rapides et aussi minutieux que possible pour éviter de nouvelles victimes. 


En tout cela, Bernard Minier excelle. Mais ce qui est sans doute le plus intéressant ici, c’est la capacité qu’il a de brosser le portrait de son héroïne. Loup solitaire, aux prises avec des idées noires (on ne peut que la comprendre quand on exerce un métier tel que le sien), il arrive à la rendre très attachante, elle qui doit mener deux enquêtes de front, sans oublier ses problèmes d’ordre privé, qui pourraient à tout instant la faire craquer. Mais Lucia, malgré tout, reste debout. Moi qui ne connaissais pas encore ce personnage, force est de constater qu’il m’a convaincu, et qu’il va sûrement me pousser à me procurer le premier tome de cette série.


Lucie était fascinée par les documentaires animaliers, c’est ce qu’elle matait le plus souvent à la télé, avant d’aller dormir. Fascinée par la cruauté de la nature, qui n’avait rien à envier à celle des hommes.

Une maîtrise et une ambition en demi-teintes


L’une des marques de fabrique de Bernard Minier, qui est certes propre au genre mais dont l’auteur a su imposer toute son habileté en la matière, est la maîtrise avec laquelle il mène ses romans. Or il semble qu’ici cela ne soit pas aussi visible qu’à l’accoutumée.


En effet, ce roman est traversé par une volonté pour le moins ambitieuse de faire mener à son enquêtrice une double enquête, ce qui demande un découpage et une construction sans doute plus complexes que ce qu’exige une seule et unique affaire. Or, si les deux premiers tiers du roman sont plutôt très bien conçus, la dernière partie m’a semblé plus bancale. Surtout le dénouement à vrai dire, dont la lecture m’a quelque peu déçu. L’idée sur laquelle repose la résolution des meurtres des  « riches » est, je crois, quelque peu éculée, rendant de fait sa lecture moins surprenante qu’à l’accoutumée.


Autre bémol : l’importance donnée à chacune des deux enquêtes. Le titre de ce livre, Les Effacées, promet une considération toute particulière donnée à celles qui sont victimes du tueur en série de Galice : ces femmes d’origines modestes, qui partent au travail tôt pour ne pas gagner grand-chose à la fin de la journée. Or, il semble, une fois ce roman terminé, que l’enquête qui ait été privilégiée soit celle du tueur de riches. Que cela soit volontaire ou non, tout se passe comme si, de fait, cette enquête ait été reléguée au second plan, effaçant encore un peu plus ces femmes. Après tout, peut-être est-ce voulu, l’auteur voulant démontrer que l’enquête qui les concernait était, au fond, à l’image de ce que la hiérarchie de Lucia laissait entendre, moins importante que l’autre. Mais ce flou laisse une drôle d’impression.


Lucie, dites-vous bien que le lynchage de masse n’est jamais le fait des vertueux. Le vrai vertueux défend la vérité quand elle est impopulaire. Pas quand c’est facile. Et il ne hurle pas avec les loups.

Bref, il m’a semblé que ce roman était moins maîtrisé que les précédents de Minier. Moins inspiré aussi, en ce qui concerne certains aspects du moins. Bien que cela entache (un peu), la lecture de ce livre, il n’en demeure pas moins un bon thriller pour qui aime le genre. Minier reste un incroyable auteur de romans policiers, et ce livre pourra en ravir plus d’un.


Avec ce nouveau roman, Bernard Minier continue le travail qu’il avait opéré quelques années plus tôt : installer une nouvelle héroïne, Lucia Guerrero, au sein de son œuvre. Avec ce second roman dont elle est le personnage principal, l’auteur la confronte à deux enquêtes dont le contraste est particulièrement saisissant : un tueur de riches et un autre qui s’en prend à de jeunes femmes issues des classes populaires. On retrouve dans ce roman tout ce qui a fait le succès de Bernard Minier : des enquêtes sombres, une ambiance glaçante, et un ultra-réalisme qui donne toute sa saveur à ce livre. Les thématiques sous-jacentes évoquées ici s'inscrivent dans le sillage de ce que nous a proposé l’auteur dans le passé : une analyse de notre modernité, dans ce qu’elle a de plus malsain, de plus inquiétant aussi. Cela étant dit, ce nouveau roman m’a semblé moins maîtrisé qu’à l’accoutumée, notamment dans son dénouement, un peu trop classique à mon goût. La faute peut-être à l’ambition de ce livre : faire mener à son personnage principal deux enquêtes de front demande une construction narrative sans doute plus complexe pour éviter que l’une des deux ne finisse par être délaissée au profit de l’autre. Et paradoxalement, c’est ce qu’il m’a semblé ici : l’enquête qui donne pourtant le nom à ce livre, celle qui veut mettre en avant le meurtre de jeunes femmes oubliées, est reléguée au second plan. Un brin dommage. Sans être son meilleur cru, ce polar reste néanmoins un bon Bernard Minier, efficace et haletant. 


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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