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La Mythologie du monde celte - Claude Sterckx (2014)

Entre documents iconographiques et traductions de textes originaux, une passionnante introduction au monde celte et à sa mythologie.


 

La Mythologie du monde celte, Claude Sterckx, Editions Marabout (2014)

Mystérieux Celtes ? Oui, même si les chercheurs nous ont débarrassées de certains mythes et clichés hauts en couleur.

Il reste que les traditions des anciens Celtes étaient étonnamment subtiles et que les formes dans lesquelles ils les ont exprimées - mythes, contes et légendes - surpassent les meilleurs romans !

Le présent livre propose d’abord une introduction à l(état actuel des connaissances puis s’attache à une analyse des conceptions du monde telles que les révèle la mythologie : car celle-là n’est pas un simple recueil de contes mais une tentative, dans un langage imagé, d’expliquer le fonctionnement et le destin de l’univers en fonction des connaissances scientifiques et de la réflexion philosophique de l’époque.

 

En voilà un livre alléchant ! Un ouvrage qui traite d’un peuple encore très mal connu, dont l’histoire, par bien des aspects, se mêle à la nôtre et dont les coutumes et modes de vie nous sont encore totalement étrangers ou presque, un ouvrage tel que celui-ci à de quoi m’intéresser. Pour plusieurs raisons, en réalité. D’abord, par envie et intérêt. En soi, les Celtes et leur histoire me passionnent. Mais aussi par pure curiosité intellectuelle : me plonger dans des représentations et une logique qui me sont étrangères est, pour ma part, à chaque fois extrêmement instructif et me pousse à relativiser notre très chère modernité tout en me donnant des clés pour mieux la comprendre. En périphérie de ces motivations, il y a également celle qui concerne le regain d’intérêt que notre époque confère aux Celtes. Que ce soit dans des domaines purement historiques et politiques (avec, par exemple, la fameuse expression “nos ancêtres les gaulois” qui a de plus en plus du plomb dans l’aile…), mais aussi dans le champ artistique, il est curieux de voir comment les peuples celtiques suscitent de nos jours un certain engouement. Bref, tout cela pour dire que découvrir ce livre tombait à point nommé, rendant sa lecture des plus fascinantes.


Mais revenons au livre en lui-même. La mythologie du monde celte est un ouvrage rédigé par Claude Sterckx, un universitaire belge qui a passé la plus grande partie de sa vie académique à rédiger des travaux sur le monde celte. Celtologue de profession, il a été, entre autres, maître d’enseignement pour les langues et la civilisation celtiques à l’Université libre de Bruxelles. Autant dire que le monde celte est un domaine qu’il connaît, si ce n’est parfaitement tant il y a encore énormément de choses qui restent obscures, au moins aussi bien que la recherche actuelle le permette. C’est d’ailleurs avec cette modeste ambition qu’il s’est donné pour mission la rédaction de ce livre : faire un état des lieux de la connaissance que le monde universitaire et académique détient sur le monde celte et sa mythologie. Un projet certes ambitieux, mais, je crois, réussi, tant le propos est clair bien que parfois technique. On ressort de ce livre avec un aperçu global du système de pensée celte, de sa mythologie, mais aussi de ses nombreuses particularités. Un pari réussi, en somme.


Ces images qui alimentent l'inconscient collectif s'avèrent souvent totalement fausses et le monde celte ancien reste généralement mal connu et souvent mal jugé.

Mais comment se présente cet ouvrage ? Si ce livre est assez dense, le propos n’en est pas moins extrêmement pédagogique, clair et surtout très bien écrit. Son objectif est le suivant : nous présenter l’héritage du monde celte et nous dévoiler une cosmogonie propre à ce peuple (ou devrais-je dire à ces peuples), si différente de la nôtre et pourtant si fascinante. La première partie de ce livre est consacrée aux origines des Celtes et, pourrait-on dire, à leur destinée. Partie sans doute la plus historique de cet ouvrage, elle nous permet de mieux cerner cette civilisation, tant géographiquement que temporellement. Claude Sterckx évoque donc les origines indo-européennes de ce peuple, chose qui, par études comparées, sera particulièrement visible à travers des mythes aux nombreux points communs avec ceux d’autres civilisations. C’est ainsi que l’on apprend que les premières traces de peuples proto-celtes apparaissent au deuxième millénaire avant Jésus-Christ et, leur déclin sera concomitant à l’expansion du monde romain. La grande particularité de l’approche de Sterckx réside dans sa volonté de prendre du temps pour expliciter les situations particulières de certaines régions, comme l’Irlande, les Gallois ou encore l’Armorique. De manière générale, cette présentation est la bienvenue car elle nous permet d’avoir à la fois une vision d’ensemble du monde celte, mais également une démarche plus particulière en fonction des particularités territoriales.


S’ensuit une partie où l’auteur s’attache à étudier les représentations du monde celte, représentations que l’on utilise encore parfois aujourd’hui. Or, et c’est un biais que l’on tend souvent à minimiser, voire à totalement oublier, mais les descriptions qu'ont été faites des Celtes ont souvent, presque uniquement en réalité, été réalisées par des artistes ou intellectuels gréco-romains. Or ces derniers, comme la plupart des historiens, avaient aussi leurs tendances, leurs influences et leurs présupposés qui ont de ce fait aussi déformé la réalité celte. En d’autres termes, les descriptions faites des celtes par les romains ou les grecs sont souvent déformées par une forme de “romantisme” propre à leur époque et à leur représentation des peuples “barbares” et donc, non civilisés. Bref, en extrapolant légèrement, par cette remarque Claude Sterckx nous invite aussi à nous défaire des “clichés” qui résident encore dans nos représentations modernes des celtes.


Tous les indices tendent en effet à montrer que les artistes gréco-romains ont presque toujours préféré, jusqu'en Gaule même parfois, représenter les guerriers celtes selon des conventions "romantiques" remontant aux galatomachies pergaméniennes, plutôt que de restituer la réalité ethnographique.

Vient ensuite une longue partie dédiée aux différents documents sur lesquels les historiens se reposent dans leurs études. Documents plutôt rares s’il en est tant les Celtes, et en particuliers les druides (représentant du savoir et du monde religieux) refusaient de céder face aux avancées de l’écrit. De ce fait, les Celtes privilégiaient la transmission orale de leurs savoirs, de leur mythologie et de toute forme de tradition, au détriment des écrits, dont il n’en reste que très peu de traces.


Des documents qu’il nous reste, et par mythologie comparée, on remarque qu’à l’instar de la plupart des peuples indo-européens les Celtes partagent un passé commun avec eux : « tous les panthéons indo-européens étaient centrés sur un état-major de cinq dieux cités selon un ordre canonique de fonctions : un dieu céleste maître de la magie et gardien du bon ordre cosmique ; un protecteur bienveillant des bons rapports entre tous les êtres ; un dieu guerrier ; deux jumeaux patronnant les arts, les techniques et la subsistance physique ». Fascinant, non ?


De manière plus générale, les documents qui sont arrivés jusqu’à nous viennent pour la plupart des auteurs gréco-romains, loin d’être avares en matière d’écrits. Si comme évoqué plus haut, leur écrits souffrent parfois de nombreux biais, ils n’en restent pas moins intéressants pour mieux appréhender l’univers celte. De plus, ils peuvent être accompagnés de certains textes des Celtes eux-mêmes. Certes ces derniers, bien plus rares, offrent un point de vue et une richesse unique quant à leur monde. Que ce soient le matériel irlandais, les documents gallois ou encore, plus généralement, les traces d’autres nations celtes, les historiens arrivent néanmoins à s’appuyer sur des sources fiables pour mieux appréhender les Celtes. Plus intéressant encore, ce qu’il reste de ces peuples nous offrent des sagas de Dieux et les histoires de nombreux héros qui n’ont rien à envier à certaines de nos propres histoires modernes, ou de nos propres “mythes”, pour citer notre cher Roland Barthes.


Le matériel irlandais, particulièrement abondant, se révèle donc comme celui qui mérite d'être considéré avant tout autre, parce qu'il révèle l'idéologie la plus "pure" et la plus archaïque, préservant un important trésor d'échos des traditions préchrétiennes.

C’est à travers ces documents, ce “matériel” que Claude Sterckx nous présente le système de pensée du monde Celtes. A travers de nombreux exemples, des citations d’œuvres ou de documents originaux, on plonge dans une mythologie et une représentation du monde loin de la notre. Loin de notre paradis et enfer si catholiques : pour les Celtes, nous procédons du non-être : « Notre monde n'est donc pas opposé à un paradis supérieur et à un enfer inférieur : il l'est à un Autre Monde du non-être dont la localisation est assimilée à tous les "ailleurs" que nous sommes incapables d'atteindre tant que nous existons physiquement : le ciel, l'horizon, le dessous de la terre, le fond des mers et des lacs...».


Peuples foncièrement polythéistes, les Celtes croyaient profondément au principe de création. Et ce principe de création est valable tant pour le macrocosme que pour tous les microcosmes qui le composent. De l’infiniment petit à l’infiniment grand, tout est régit selon le même mécanisme : « une journée déroule l'aube, le jour, le crépuscule et la nuit comme une année aligne le printemps, l'été, l'automne et l'hiver ou comme une vie comprend l'enfance, l'âge mûr, la vieillesse et la mort ». Ce principe de création étant un principe fondamental chez les Celtes, il était loin du nôtre : pour eux, le non-être précède l’être. Par exemple, ils situaient la nuit avant le jour, la non-vie avant la naissance de la vie, l’hiver avant l’été, etc… En définitive, les Celtes croyaient au non-être qu’ils situaient dans un “Autre Monde”, dans des lieux, certes conceptualisables comme l’horizon mais en réalité inatteignables.


L'idéologie celte définie le druide comme la source dont émane toute autorité en tant que détenteur de la science divine, et le roi comme le délégué à la gestion temporelle : l'un représente donc la conception de l'autorité et l'autre son exercice. C'est une balance parfaite qui attribue naturellement au premier le pouvoir juridique et au second le pouvoir judiciaire, qui fait que l'un impose des expiations et l'autre des châtiments...

Les dieux qui régissent le monde des vivants étaient, à l’image des autres peuples indo-européens, gouvernés par un Etat major de cinq dieux (Ogmios, Sucellos, Lugh, Diane, etc..). Il est à noter qu’un même dieu pouvait avoir chez les Celtes plusieurs noms, ce qui peut rendre parfois son identification confuse. Mais ce faisant, à la manière de nombreuses autres mythologies, les dieux celtes ont leurs propres histoires, leurs propres vies, leurs propres personnalités aussi..


Enfin, une dernière partie s’attarde sur la conception de l’âme dans le monde celte. Comme la plupart des peuples anciens, les Celtes croyaient que l’homme avait deux âmes : une qui quittait le corps à notre décès, et une autre qui se perpétuait de génération en génération par le principe de reproduction. Cette croyance en la continuité génétique par voie séminale explique la différence accordée entre les hommes et les femmes : comme les Celtes ne connaissaient pas le principe de l’ovulation, et que leurs croyances se basaient sur ce qu’ils voyaient, pour eux seuls les hommes pouvaient transmettre leur âme (via le sperme) chose que les femmes, évidemment n’ont pas. Ces dernières n’étaient donc pas “immortelles” et ceci explique la différence de statut entre l’homme et la femme chez les Celtes.


Voilà pourquoi la mastectomie ou mutilation des seins de la femme correspond à la décapitation (ou à la castration) de l'homme : toutes deux coupent l'émission du liquide de vie propre à assurer la perpétuation de la lignée et du groupe humain ennemi.

Cette notion explique la fameuse (et terrible) pratique des Celtes : ils coupaient la tête des hommes et les seins des femmes. Pourquoi ? Parce que pour les Celtes, le sperme était issu de la tête. En la coupant aux guerriers rivaux, et parfois en buvant dans leurs crânes, ils pensaient que la vigueur et la force de l’ennemi leur seraient de cette manière transmises. Le crâne était pour eux l’enveloppe de l’énergie vitale de l’individu. Pour la femme, c’était plus ou moins le même principe : on leur coupait les seins car là-aussi, le Celtes pensaient que cela empêchait la transmission de l’énergie vitale de la femme… Affreux, mais en quelque sorte logique, puisqu’ils n’avaient pas accès à nos avancées et résultats scientifiques.


Bref tout ceci n’est qu’un résumé rapide et succinct de ce livre qui ne manque pas d’éléments fascinants et révélateurs d’un système de pensée qui nous est aujourd'hui en grande partie étranger. Pour conclure cette chronique, j’aimerais mettre en avant deux des très grandes forces de cet ouvrage, qui en rend sa lecture des plus agréables : l’insertion de nombreux visuels, photographies, extraits de textes et autres documents iconographiques. En effet Claude Sterckx, en nous offrant ces traductions et ces images, nous plongent dans un monde totalement révolu. Seuls ces documents nous permettent d’appréhender un peuple loin d’être aussi caricatural que ce qu’on pense souvent, mais aussi une mythologie atypique et une imagination remarquable. Parmi les nombreux éléments et légendes présents dans ce livre, on peut citer la photographie de l’incroyable chaudron de Gundestrup, ou encore la légende de la razzia du bétail de Reaghamhain, écrit qui explique comment, pour nourrir son immense armée, la reine Meadhbh envoie ses sept fils voler le bétail du riche Reaghamhain. En lisant ce livre, vous découvrirez de nombreux autres mythes qui permettent de lever le voile sur les Celtes, encore trop souvent méconnus. Bien qu’exigeant, cet ouvrage nous offre une belle introduction à la mythologie et au mode de pensée celtes.


En fin de compte, La Mythologie du monde celte de Claude Sterckx est un ouvrage fascinant. Celtologue de profession, l’auteur nous offre ici une formidable introduction à ces peuples qui, finalement, nous sont encore pour la plupart totalement étrangers. En proposant ici un condensé de l’état actuel de la recherche, et en se focalisant principalement sur le système de pensée, les croyances et la logique des Celtes, il nous fait découvrir des écrits et des histoires incroyables. Car, en effet, la mythologie celte, par bien des aspects, est aussi riche et dense que celle des Romains ou des Grecs. On le sait, la tradition celte s’est principalement transmise par l’oralité, délaissant les écrits, jugés comme trop temporels, et de ce fait les traces qui sont arrivées jusqu’à nous sont malheureusement assez pauvres. Cela étant, l’une des grandes qualités de ce livre repose sur l'extrême richesse des documents iconographiques qui illustrent à merveille le propos, mais aussi sur les nombreuses traductions d’écrits celtes sur lesquels l’auteur s’appuie pour corroborer son propos. On découvre ainsi des sagas familiales et héroïques, des légendes, et des destins de dieux au moins tout aussi passionnants que ceux de la mythologie nordique ou grecque par exemple. Bref, si ce livre est assez exigeant, parfois plutôt technique, il est cependant écrit de manière suffisamment pédagogique et claire pour nous offrir un éventail complet du système de pensée celte, de sa mythologie, mais aussi de ses nombreuses particularités. En somme, une belle introduction au monde des Celtes.



“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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