top of page
Photo du rédacteurMax

La mort frappe aussi les gens heureux - Sophie Hannah (2023)

Bien que dans la veine des romans d'Agatha Christie, Sophie Hannah arrive avec cette nouvelle enquête de Poirot à donner une singularité à son roman.


Une nouvelle enquête de Poirot par Sophie Hannah

 

La mort frappe aussi les gens heureux, Sophie Hannah, Editions du Masque, 2023

19 décembre 1931, Hercule Poirot et l’inspecteur Catchpool sont appelés pour élucider le meurtre d’un homme dans un hôpital du Norfolk. La mère de Catchpool, l’impérieuse Cynthia, insiste pour que Poirot loge dans une maison croulante sur la côte, à proximité de l’hôpital, afin qu’ils puissent passer ensemble les fêtes de fin d’année pendant que Poirot enquête. Car Arnold, l’un de ses amis, doit bientôt être admis dans l’unité même où est survenu le meurtre, et sa femme est convaincue qu’il sera la prochaine victime, quoiqu’elle refuse d’expliquer d’où lui vient cette certitude.

Si Poirot souhaite échapper à la perspective cauchemardesque de passer Noël dans le Norfolk, il n’a plus que quelques jours pour résoudre l’affaire et empêcher de nouvelles morts. Mais pendant ce temps, quelqu’un a fomenté ses propres plans pour le célèbre détective belge…

 

Qui se souvient de cet événement ayant marqué, il y a une dizaine d’années, le monde de la littérature ? Qui se rappelle encore que les ayant droits d’Agatha Christie avaient décidé de choisir un ou une écrivain(e) pour écrire de nouvelles histoires du détective le plus célèbre au monde, Hercule Poirot ? J’avoue, pour ma part, être passé à côté de cette information. Information pourtant essentielle tant j’admire les écrits de la Reine du Crime. Sophie Hannah avait donc été choisie pour reprendre le flambeau. 


Et lorsque j’ai aperçu ce livre, au détour d’une étagère d’une librairie, comment ne pas être emporté par l’excitation (et un brin d’inquiétude) : une nouvelle enquête de Poirot, vraiment ? Sans me faire trop d’illusion, une question me taraudait : cette nouvelle histoire originale,  ce roman La mort frappe aussi les gens heureux, peut-il être du même acabit que ceux d’Agatha Christie ? Réponse dans cette chronique.


Le lecteur avisé jugera si le secret était ou non le mobile.

Un décors et une ambiance typiques des livres d’Agatha Christie


Profitons ici pour lever, peut-être, une certaine ambiguïté : comme je l’ai dit plus haut, ce choix remonte déjà à plus d’une dizaine d’années. Autant dire que cette enquête de Poirot, La mort frappe aussi les gens heureux, n’est pas la première de Sophie Hannah. En faisant mes propres recherches, je m'aperçus qu’il s’agissait déjà de la cinquième. Autant dire que si celle-ci est satisfaisante, la perspective de rattraper le temps passé avec les quatre premières sera des plus réjouissantes.


Mais revenons à ce livre. Les premières pages nous ramènent d’emblée à tout le charme qu’Agatha Christie avait su, en son temps, insuffler à ses enquêtes. On y retrouve Hercule Poirot, au début des années 1930, accompagné pour les fêtes de fin d’années de l’un des ses amis, inspecteur à l’image d’un Japp : Edward Catchpool. C’est la mère de ce dernier qui les convainc de la suivre dans le Norfolk pour retrouver le meurtrier d’un parfait inconnu et d’en empêcher un nouveau. Traînés de force dans ce coin perdu de l’Angleterre, les voilà obligés de mener l’enquête le plus rapidement possible afin d’être rentrés le 24 à Londres pour ne pas passer Noël loin de tout. 


Hercule Poirot ne se préoccupe pas des forces de la nature. On ne peut ni les changer ni leur faire entendre raison. Ce sont les gens qui me donnent des soucis, Catchpool.

Les amateurs d’Hercule Poirot et, plus globalement, ceux d’Agatha Christie seront, sans trop de doutes, agréablement surpris par ce livre. On y retrouve les ingrédients qui ont fait du petit détective belge la figure de proue du genre des whoduneit, ce genre littéraire popularisé par Agatha Christie et qui met en scène un détective (policier ou non) aux prises d’une enquête souvent en vase clos, dans laquelle se trouve un meurtrier se cachant parmi un certain nombre de suspect. 


Dans le livre que nous occupe ici, tous ces ingrédients sont parfaitement réunis : si le premier meurtre à bel et bien eu lieu dans un hôpital, l’enquête se resserrent rapidement autour de la famille venue visiter la chambre du vieil homme en fin de vie, qui doit d’ici quelques semaines s’installer définitivement au sein de ce même hôpital. Et cette famille vit dans une vieille et immense maison, dans laquelle Poirot et Catchpool s’installent. Bref, nous avons affaire ici à une enquête à l’image de celle de la Reine du Crime : une famille riche abritant quelques invités de façon plus ou moins permanente, une maison en guise de décors pour ce huis clos, et un meurtre apparemment insoluble. Comment l’homme de la chambre de l’hôpital a-t-il pu être tué alors qu’il n’y avait visiblement personne avec lui ? Un vrai casse-tête.


Du pur Agatha Christie, et pourtant… 


Sophie Hannah nous propose donc, avec cette nouvelle enquête d’Hercule Poirot, un livre écrit dans la veine des précédentes œuvres d’Agatha Christie. Le lecteur ne peut que sentir la formidable admiration que l’écrivaine porte pour sa légendaire modèle et on ne peut qu’imaginer le malin plaisir qu’Hannah a eu en écrivant cette histoire. 


L’excellente idée que cette dernière a eu fut sans conteste d’intégrer à ce récit un nouvel inspecteur tout droit sorti de son imagination pour seconder Poirot. Catchpool n’est pas Hastings, il n’est pas non plus Japp. Il est peut-être un peu des deux, et bien plus encore. Et cette idée est remarquable, si simple et pourtant si signifiante. Car dans La mort frappe aussi les gens heureux, le narrateur, c’est lui. L’histoire et l’enquête sont menées à travers ses yeux, à travers sa perspective. Lui, qui est aussi inspecteur, doit ici affronter le poids (parfois insupportable) de sa mère, impliquée bien malgré elle dans cette affaire. 


Néanmoins mes amis… les gens heureux qui ont le don de rendre les autres heureux sont rarement victimes de meurtres, parce que personne ne souhaite leur mort.

Dans ce livre, si le style Agatha Christie est parfaitement respecté, il y a quelque chose de différent, de plus moderne. Et cette modernité est insufflée par Catchpool qui par ses réflexions, sa façon de voir les choses, étire le style d’Agatha Christie marqué par son époque (le XXème siècle) et la société plus traditionnelle qu’elle utilisait comme décors de ces meurtres, pour le rendre plus proche de nous. Alors, bien sûr, il ne s’agit pas d’une révolution totale du Christie Universe (si on peut utiliser ce terme pour décrire l'œuvre d’Agatha Christie), mais plutôt d’une approche, bien que très subtile, plus moderne. Et on le doit à Sophie Hannah.


Et, me diriez-vous, Poirot dans cette histoire ? Bonne question. S’il est fidèle à lui-même, voire presque encore plus présomptueux que dans mes souvenirs, le célèbre détective belge est peut-être un peu plus en retrait que dans les livres d’Agatha Christie. Il apparaît sans doute plus froid qu’à son habitude, plus distant. Tout se passe comme si l’auteure avait voulu réduire un peu la place de ce personnage hors du commun, pour mettre un peu plus en avant Catchpool. Pour ma part, ce choix a très bien fonctionné. 


Quant au final, puisqu’il s’agit surtout et avant tout de cela dans les romans policiers, autant dire qu’il est à la fois déceptif et surprenant. Déceptif non pas parce qu’il est mauvais, mais parce que je me suis maudit (et je continue encore) de ne pas avoir trouvé le comment et le pourquoi. Car si le qui m’est apparu relativement évident dans le dernier tiers du livre, les deux autres questions apparaissent, une fois le voile levé, d’une évidence absolue. Et c’est en cela que ce final est surprenant. A l’image des casse-têtes concoctés par Agatha Christie, la simplicité de celui-ci est si criante de vérité qu’il en devient déroutant. Et c’est pour cette raison que ce livre m’a globalement plu. Une vraie surprise, qui m’incite de fait à me pencher sur les autres enquêtes d’Hercule Poirot imaginées par Sophie Hannah.


Il est sans doute difficile pour tous les amateurs d’Agatha Christie d’imaginer que les enquêtes d’Hercule Poirot puissent être écrites par une autre. Mais une fois que cette possibilité devient réalité, deux cas de figures s’offrent à nous : refuser, par fidélité à l’oeuvre originale, de lire ces nouveaux romans, ou bien les prendre pour ce qu’ils sont, à savoir une tentative de faire revivre ce personnage culte, et de les juger une fois le livre refermé. Pour ceux qui hésitent encore, Sophie Hannah a été choisie par les héritiers d’Agatha Christie, ce qui laisse imaginer une certaine exigence de leur part, l’empêchant de (trop) dénaturer le personnage original. Et en parlant d’exigence, autant dire que dans ce livre le cahier des charges du parfait whodunit est scrupuleusement respecté : une petite dizaine de suspects, une huis clos ou presque dans lequel l’essentiel de l’intrigue se passe dans une vieille maison familiale, et un meurtre apparemment insoluble. Le style Agatha Christie et l’ambiance qui se dégage de chacun de ses livres sont ici présents au rendez-vous. Et c’est ce sentiment de familiarité retrouvée qui rend la lecture de ce livre si agréable. Pourtant, si Hannah sait avec brio faire revivre l’esthétique de la Reine du Crime, elle arrive à s’en détacher de manière plutôt subtile. En imaginant un nouvel acolyte venu seconder Poirot, l’inspecteur Catchpool, Catchpool étant lui-même le narrateur de ce roman, Hannah insuffle, me semble-t-il, une certaine forme de modernité dans ce récit. Par son point de vue, par la perspective qu’il donne à cette enquête, il apporte une légèreté et une façon de pensée plus moderne. Par son truchement, Hannah se détache un peu du rigorisme mondain propre aux années 1930 (et sans doute aussi de ce fameux cahier des charges), pour apporter sa singularité. Le lecteur ne peut que sentir le plaisir qu’a dû être pour elle d’écrire un roman qui lui est propre sans tomber dans la copie d’Agatha Christie. Quant à Poirot, dans ce récit, il semble plus en retrait, plus distant mais toujours fidèle à lui-même (en plus présomptueux encore peut-être). Mais ses célèbres petites cellules grises arrivent tout de même à résoudre cette énigme, le final étant plutôt surprenant, éclairant de toute sa simplicité ce mystère. En éternel amateur d’Agatha Christie, je me suis surpris a apprécié ce livre pour ce qu’il était : heureux de voir Poirot dans une nouvelle enquête, il n’en reste pas moins un roman de Sophie Hannah, roman parfaitement soigné et abouti qui va sûrement m’inciter à découvrir ses autres créations. Pari réussi, en somme.


📖📖📖📖

Comments


“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

bottom of page