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Histoires Extraordinaires - Edgar Allan Poe (1856)

Ouvrir un livre de Poe, c'est se plonger aux origines de la littérature contemporaine. Un voyage lugubre, mais toujours fascinant et envoûtant.


Un recueil de nouvelles particulièrement fascinant
 

Histoires extraordinaires, Edgar Allan Poe, Le Livre de Poche, 1972 (1856)

Baudelaire avait raison : ces nouvelles sont extraordinaires.

Un homme atteint la lune en ballon, un autre transforme en or les vils métaux, les morts apparaissent pour entraîner les vivants au tombeau, les malédictions s'accomplissent.

Edgar Poe était fasciné par le rêve, le spiritisme, la métempsycose mais aussi les sciences. Il a créé un monde irréel d'autant plus envoûtant que le fantastique est peint avec logique et minutie.

Cet écrivain américain ressentit toute sa vie la perversité qui existe en tout être. L'homme est sans cesse et à la fois homicide et suicide, assassin et bourreau.

« Edgar Poe a emprunté la voie royale du grand art. Il a découvert l'étrange dans le banal, le neuf dans le vieux, le pur dans l'impur. Voilà un être complet », disait Valéry.

 

Aujourd’hui, je vais vous parler de l’un des pères de la littérature américaine, d’un auteur qui a eu et continue d’avoir une influence considérable sur de nombreux genres tels que le roman noir, le fantastique ou même encore le roman policier. Car oui, Edgar Allan Poe est un écrivain aux multiples facettes qui n’a eu de cesse, à travers les nombreuses nouvelles qu’il a écrites durant sa courte mais intense vie littéraire, de développer un imaginaire si vaste et si puissant qu’il continue, encore aujourd’hui, d’inspirer bons nombres d’artistes à travers le monde. Bref, en toute objectivité, je ne crois pas qu’il serait exagéré de dire que Poe est sans doute l’un des écrivains les plus fascinants qu’il m’ait été donné de lire. C’est en tout cas mon modeste ressenti, et j’essaierai à travers ce recueil de nouvelles, Histoires Extraordinaires, de vous donner envie de vous plonger dans l’un de ses livres.


Mais avant d’en venir à ce recueil, il est nécessaire, je pense, d’évoquer son auteur et sa vie si particulière. Né en 1809 à Boston et mort en 1949 à Baltimore, Edgar Allan Poe est très tôt considéré comme un membre de la fameuse famille des poètes maudits, cette expression générique tirée de l’ouvrage du même nom de Paul Verlaine, Les Poètes Maudits (1888), qui rassemble de manière très informelle un certain nombre d’écrivains ou poètes, souvent avant-gardistes et incompris par leurs contemporains, qui auront un destin malheureusement tragique. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’un des premiers français à s’intéresser aux travaux de Poe et à le traduire en 1856 n’est autre que Charles Baudelaire, lui aussi considéré comme un poète maudit. Tout cela pour dire qu’il existe autour de la figure d’Edgar Allan Poe tout un mythe qui a inévitablement contribué à faire de lui l’un des écrivains les plus lus et commentés de sa génération, et à transformer son œuvre en une source d’inspiration quasi inépuisable.


Qui osera dire maintenant qu’il y a quelque chose d’impossible ?

Si ses nouvelles ont une importance capitale dans la littérature américaine, c’est avant tout parce qu’elles ont grandement contribué à l’émancipation artistique des Etats-Unis vis-à-vis de l’Europe. En effet, dans la première moitié du XIXème siècle, les artistes américains (que ce soient les peintres, les musiciens ou les écrivains) étaient encore fondamentalement influencés par tout ce qui était produit sur le Vieux Continent et vivaient donc, de fait, dans l’ombre des grands intellectuels européens. C’est dans ce contexte particulier qu’apparaît Poe.


L’objectif ici n’est pas de faire une biographie d’Edgar Allan Poe, je n’en ai ni l’ambition ni la compétence, mais il me semble pertinent de revenir sur certains aspects de sa vie qui permettent d’éclairer son œuvre. On le sait, Poe a presque toujours vécu avec des problèmes d’argent, et ce n’est pas sa carrière de journaliste et de critique littéraire qui, bien que souvent remarquée, lui a permis de vivre décemment. Plus important encore, Poe était un angoissé et un alcoolique, qui buvait autant pour apaiser ses angoisses que pour trouver cette fameuse « inspiration » chère à bons nombres d’artistes. C’est sans doute cette névrose, qui ne le lâchait pas, qui lui a permis d’écrire des textes où la raison se confrontait à des éléments fantastiques ou, selon le mot de Baudelaire, extraordinaires. Pourtant, si ce sont cette noirceur et ce fantastique qui ont souvent été collés à l’image de cet écrivain, il ne faut pas oublier que Poe a toujours été attaché à la raison, à la science, et à la logique, bref à cet esprit rationnel qui l’ont tout le temps amené à dire que tous les éléments d’un récit devait concourir à un seul et même objectif que s’était fixé son auteur, à une unité indispensable à toute composition romanesque. On le voit, Poe était un écrivain complexe qui s’en remettait autant à la raison qu’à l’irrationnel. Et c’est cet équilibre précaire trouvé par Poe qui fait de ses travaux une œuvre remarquable.


En général, les coïncidences sont de grosses pierres d’achoppement dans la route de ces pauvres penseurs mal éduqués qui ne savent pas le premier mot de la théorie des probabilités, théorie à laquelle le savoir humain doit ses plus glorieuses conquêtes et ses plus belles découvertes.

Venons-en maintenant à ces fameuses Histoires Extraordinaires. Il s’agit d’abord d’un recueil à prendre avec tout le recul et le contexte qui s’impose tant il se situe à l’avant-garde de nombreux genres qui se démocratiseront et se densifieront par la suite. Certaines nouvelles peuvent paraître de prime abord sans grand intérêt, voire inégales, mais quand on se penche sur les aspects incroyablement novateurs que toutes possèdent, on ne peut qu’admirer cette imagination débordante et débridée qui marquera les siècles qui suivirent. Par son incroyable propension à défricher des sentiers jusque-là inexplorés ou presque, Poe est devenu un précurseur de genres littéraires qui, les décennies et les siècles suivants, deviendront des piliers de la littérature.


Commençons par exemple par le roman policier. Les deux premières nouvelles par lesquelles commencent ce recueil, Double assassinat dans la rue Morgue (1841) et La Lettre volée (1844) sont typiquement les précurseuses de ce genre qui se popularisa par la suite avec des auteurs comme Arthur Conan Doyle ou Agatha Christie pour ne citer qu’eux. Dans ces deux histoires, Poe met en scène un détective amateur, Auguste Dupin, qui, avec le narrateur (couple qui laisse déjà entrevoir ce que seront par la suite Holmes et Watson, Poirot et Hastings) doivent résoudre des mystères qui jusque-là mettent en échec la police. C’est avec un surprenant sens de l’observation et une logique sans faille que Dupin arrivera à éclaircir ces énigmes. Bref, il n’y a pas besoin de beaucoup plus d’explications pour montrer en quoi Poe est souvent considéré comme l’inventeur du roman policier tant il pose les bases de ce que sera par la suite ce genre extrêmement codifié.


La vérité n’est pas toujours dans un puits.

Mais il y a plus, beaucoup plus. Tour à tour, Edgar Allan Poe s’essaie à des genres qui connaîtront leur apogée bien plus tard. Dans Le Scarabée d’or (1843), il se lance dans la nouvelle d’aventures, de chasse au trésor en distillant dans son récit des éléments de cryptologie, cette « science du secret », qui pousse à décrypter des messages à l’aide de codes chiffrés. Dans Souvenirs de M. Auguste Bedloe (1844) ou dans Révélation magnétique (1844), il met en récit des théories scientifiques de son temps, souvent étranges, telles que celles de la transmigration des âmes et du magnétisme. Avec Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaall (1835), Poe s’essaie avec beaucoup d’humour et de facétie au canulard journalistique car, également, Poe pouvait être particulièrement drôle et a souvent usé de la parodie pour amuser ses lecteurs.


Si, comme on vient de le voir, Poe s’est essayé à de nombreux genres avec presque toujours un grand succès, il y a néanmoins une constante dans la grande majorité de ses nouvelles : une certaine forme de noirceur. A chaque fois ou presque, il se propose de disséquer sous une forme ou une autre les pulsions de ses narrateurs, souvent anonymes, et de les confronter à la peur. C’est cette part d’irrationnel propre à tous les êtres humains qui se trouve au cœur des récits de Poe. Et il n'hésite pas à flirter avec le morbide : ses œuvres ont avant tout l’objectif d'analyser et d’étudier la nature humaine, d’autant plus lorsque celle-ci se révèle au gré de circonstances cauchemardesques. La grand originalité de Poe réside donc dans la noirceur qui recouvre ses récits.


Nous sommes condamnés, sans doute, à côtoyer éternellement le bord de l’éternité, sans jamais faire notre plongeon définitif dans le gouffre.

Ici, dans ces Histoires Extraordinaires, c’est peut-être dans les deux nouvelles où la figure de la femme est la plus mystérieuse que cette noirceur est la plus présente. On peut s’étonner de voir combien l’amour d’une femme est chez Poe à chaque fois accolée à celle de la mort. Que ce soit dans Morella (1835) ou dans Ligeia (1838), le narrateur est toujours hanté par celle qu’il aime éperdument et qui, malheureusement, meurt prématurément. C’est précisément à la frontière de l’amour et de la mort que surgit chez Poe le fantastique. Sans entrer dans les détails de ces deux nouvelles, le morbide, l’étrange et le fascinant se mêle si intensément que le lecteur ne peut être que durablement frappé par ces personnages féminins aussi inquiétants qu’hypnotisants.


Pour terminer cette chronique, j’en viendrai à mon ressenti tout personnel au sujet de ce recueil de nouvelles. Si, et c’est sans doute un lieu commun que de faire cette précision, tout recueil est indéniablement inégal par la nature même de son format puisqu’il met côte à côte des récits aussi divers que variés, j’ai trouvé dans chacune de ces nouvelles un intérêt particulier qui m’a permis à chaque fois d’apprécier leur lecture. D’une part, et je n’y reviendrai pas, mais se plonger dans les origines d’un genre littéraire est toujours, me semble-t-il, formidablement éclairant et permet de jeter un autre regard sur nos romans plus contemporains. D’autre part, et c’est sans doute ma motivation première à lire ces textes, j’ai toujours adoré les romans noirs, et c’est donc parfaitement logique que les œuvres de Poe m’attirent autant.


Il peut donc se faire qu’une vérité soit plus étrange que toutes les fictions.

Il me semble, et ce sentiment est tout à fait personnel, que les romans noirs sont ceux qui analysent le mieux la nature humaine et sont, en ce sens, les plus intéressants. En tout cas, c’est vers eux que se tourne mon appétence littéraire en général. En confrontant ces narrateurs à des éléments fantastiques (au sens littéraire, à la manière d’un Maupassant, qui se détache donc du surnaturel ou de la fantasy), narrateurs qui sont tous ou presque anonymes, ce qui facilite de fait une plus grande identification du lecteur, Poe sonde d’une manière extrêmement lucide et réaliste les tréfonds de l’âme humaine. Qui plus est, cet écrivain arrive à lier au morbide et à la noirceur de ses textes une ironie et une certaine forme de parodie qui préfigure, me semble-t-il, l’absurde et le surréalisme d’un Lautréamont et d’un Gary dans son Vin des Morts écrit dans les années 1930. C’est cette filiation littéraire qui me fascine tant. Enfin, voir à quel point les textes de Poe continue d’influencer et d’inspirer des générations d’écrivains et de cinéastes me pousse à m’intéresser à cet auteur. Bref, je ne peux que vous enjoindre à découvrir cet auteur et ses Histoires Extraordinaires car il fait partie de ceux, très rares, qui ont contribué à façonner la littérature moderne.


Finalement, ouvrir ces Histoires Extraordinaires, c’est se plonger dans les origines de nombreux genres littéraires. A travers ces nouvelles, on ne peut qu’être surpris de voir à quel point Poe a su façonner un imaginaire à la fois si vaste et si puissant qu’il continue, en littérature comme en cinéma, d’influencer encore aujourd’hui un grand nombre d’artistes. Car la grande force de Poe réside dans son incroyable propension à défricher des sentiers jusque-là inexplorés ou presque et d’avoir contribué à façonner avec succès ce que deviendront plus tard le roman policier (avec Auguste Dupin, personnage de deux de ces récits), le roman noir, le roman d’aventure, le fantastique ou encore le canard journalistique. Plus fascinant encore, me semble-t-il, est l’incroyable facilité avec laquelle cet auteur sonde d’une manière extrêmement lucide et réaliste les tréfonds de l’âme humaine. En recouvrant la grande majorité de ses récits d’une noirceur devenue sa signature, Edgar Allan Poe confronte ses personnages, souvent anonymes, à la peur et à l’irrationnel qui ne peuvent que les conduire à la frontière de la folie. C’est précisément cet équilibre précaire que Poe a su trouver entre la raison et la folie qui fait, à mon sens, de cet auteur l’un des plus intéressants que j’ai eu la chance de lire. Ne nous y trompons pas, à bien des égards, Poe est l’un des père de la littérature contemporaine. Et pour cette raison, je ne peux que conseiller sa lecture à tous ceux voulant découvrir un imaginaire sans égal ou presque, devenu par la suite une source d’inspiration quasi inépuisable pour bon nombre d’écrivains.


Et les anges, tous pâles et blêmes, Se levant et se dévoilant, affirment Que ce drame est une tragédie qui s’appelle l’Homme Et dont le héros est le ver conquérant.

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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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