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Souveraineté européenne - Sophie Heine (2021)

Un essai sur l'Union européenne plutôt original, mais dont la forme est parfois bancale, souvent répétitive et finalement étouffante.


Un livre critique sur l'Union Européenne
 

Souveraineté européenne, Sophie Heine, Editions Academia, 2021

Essai critique et engagé à l’analyse solide et au texte prospectif, cet ouvrage apporte une contribution substantielle aux débats actuels sur l’Union européenne. Le fédéralisme défendu par Sophie Heine suppose la construction d’une souveraineté européenne unitaire et démocratique qui a pour objectif de garantir les conditions de liberté de chacun.

L'auteure appuie ce projet dans une optique réformiste radicale et réaliste. Il convient d’éviter les pièges des approches idéalistes tout en traçant un chemin pour transformer l’existant et mobiliser largement en faveur de ce projet de souveraineté européenne. Cette dernière, du point de vue l'auteure, ne se fonde pas sur une identité particulière mais plutôt sur un cosmopolitisme nouveau.

Réalisé avec le soutien du mouvement Stand Up for Europe, cet ouvrage vise à susciter une réflexion critique et prospective dans le chef de ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l'avenir du projet européen.

 

Que penser de ce livre ? Je dois avouer que je suis assez indécis quant à mon appréciation générale de cet essai de philosophie et de sciences politiques. Pourtant, à la lecture de sa présentation et de sa quatrième de couverture, j’avais été plutôt séduit par l’angle assez original que Sophie Heine adopte dans sa réflexion. Car, quoi qu’on en pense, et en particulier dans les nombreux débats actuels sur l’Union Européenne, proposer une intégration européenne renforcée est une approche qui va pour le moins à contre-courant des principales tendances philosophiques et politiques sur la question. Oser proposer un essai qui incite à aller vers plus d’Europe à de quoi surprendre, particulièrement en cette période où l’Union Européenne est loin d’avoir le vent en poupe. Alors, quand à l’occasion d’une Masse critique organisée par les équipes de Babelio j’ai découvert ce livre, et par la suite ai eu la chance de le recevoir, je pensais réellement qu’il me permettrait d’enrichir véritablement ma réflexion sur le sujet, et, pourquoi pas, qu’il me convaincrait peut-être. Mais une fois la lecture terminée, force est de constater que le bilan est vraiment mitigé. Je vais donc essayer dans cette chronique d’expliquer mon sentiment général sur ce livre. Commençons peut-être par le propos général de cet essai. En préambule, reconnaissons d’emblée à l’auteure la qualité essentielle qu’elle adoptera tout au long du livre, qualité me semble-t-il nécessaire à tout intellectuel : Sophie Heine ne se cache pas et assume pleinement son courant politique. C’est une femme profondément libérale (contrairement au sens que revêt de nos jours ce mot, être libéral n’est pas qu’un courant économique, c’est aussi et peut-être avant tout un courant politique) : elle met la liberté de chacun au coeur de sa réflexion et en fait le but premier du projet qu’elle défend. Mais c’est aussi une femme de gauche. Ces deux aspects de sa conviction politique sont au cœur de sa réflexion et structurent tout le projet qu’elle développe par la suite.


L'européanisation partielle d'un grand nombre de politiques a progressivement démantelé les souverainetés nationales sans qu'une souveraineté européenne n'ait pu compenser cette évolution.

Sophie Heine part d’un constat, peut-être pas le plus original qui soit tant le propos est souvent répété par de nombreux observateurs qui se penchent sur la question, mais qui est somme toute toujours pertinent : au fil des décennies, l’Union européenne s’est développée, s’est approfondie, et s’est attribuée de plus en plus de domaines de compétences. Le résultat ? Une entité politique hybride, qui n’est pas vraiment fédéraliste (c’est-à-dire avec un gouvernement supranational face auquel la nation s’incline), mais n’est pas non plus totalement unioniste (projet dans lequel les nations collaborent entre elles sans créer d’instance supérieure plus puissante). Bref, l’Union européenne est un objet politique singulier dans lequel la souveraineté nationale s’est dissipée dans une souveraineté européenne sans pour autant disparaître. Chaque Etat européen a gardé des prérogatives sur son territoire, et l’Union européenne a aussi des pouvoirs qui lui sont propres. Face à cet état de fait, un certain flou persiste. D’autant plus que dans le constat que Sophie Heine dresse de l’Europe, elle se fait aussi la porte-parole d’une critique qui est souvent attribuée à l’UE : au fond, cette dernière n’est pas très démocratique.


Ces constats-là, sans être totalement novateurs comme je l’ai dit, sont pourtant à l’origine d’une réflexion qui elle, est vraiment originale : contrairement à ce que de nombreux hommes politiques populistes et souverainistes proposent, Sophie Heine prend le contrepied : elle suggère de créer une Europe fédéraliste dans laquelle la souveraineté serait pleinement européenne. A travers ce livre, elle promeut une Europe véritablement souveraine, c’est-à-dire totalement fédéraliste. Et certains de ces arguments sont pour le moins pertinents : face aux nombreux défis auxquels nous sommes confrontés (nous, l’humanité dans son ensemble), la réponse ne peut pas se situer au niveau national tant les enjeux sont aujourd’hui globaux. Pour y répondre de la manière la plus efficace et cohérente possible, la seule alternative réside sûrement dans une approche plus globale : si un gouvernement mondial est, à l’heure actuelle, impossible à imaginer, une instance européenne pleinement européenne est en revanche pour le moins crédible.

Sans une Europe fédérale, démocratique et souveraine, aucune société de liberté ne peut être mise en place.

Mais quelle serait la forme de cette Europe-là ? Sophie Heine y répond sans détour : pour elle, cette nouvelle entité se doit d’être avant tout basée sur une démocratie représentative effective, être par de nombreux aspects véritablement libérale, et évidemment respecter l’état de droit. Aussi important, cette nouvelle entité européenne doit être capable de mettre pleinement en pratique sa souveraineté, et cela dans tous les secteurs de la vie politique. Tout cela, évidemment, en ayant comme souci premier l’intérêt de tous les citoyens européens. En d’autres termes, il faudrait créer une Europe véritablement fédéraliste ou l’intergouvernementalité n’aurait pas sa place : adieu le Conseil des Ministres et le Conseil Européen. Bref, il faudrait créer une sorte d'État européen où les nations, bien qu’elles ne disparaîtraient pas, devraient accepter d’avoir au-dessus d'elles un gouvernement européen qui aurait la main sur la plupart des politiques publiques. Un projet ambitieux loin d’être naïf tant, comme je l’ai dit, il semblerait que bon nombre de solutions à apporter aux enjeux contemporains pourraient être apportées par l’Europe. Si je suis si perturbé par ce livre, ce n’est finalement pas tant par le fond de cet essai qui, je crois, bien qu’il soit d’une certaine manière à l’opposé des principaux discours actuels sur l’Europe, reste audible et fondé rationnellement, philosophiquement et politiquement. Non, en réalité, ce qui m’a vraiment dérangé dans ce livre, c’est sa forme.


La démocratie est donc le serviteur de la liberté.

Le propos de ce livre est particulièrement clair, et sincèrement pédagogique. Sophie Heine explique par des concepts et des idées fluides le fond de sa pensée. Mais c’est sans doute trop pédagogique, beaucoup trop didactique à mon sens. Si, pour les besoins de son raisonnement, elle se doit d’établir des distinctions entre différentes positions ou courants de pensées (idéaliste/réaliste, liberté formelle/liberté réelle, etc…), j’ai eu la désagréable impression que tout cet essai avait été construit autour d’une poignée de mots clés (libéral, communautarisme, réalisme, démocratie, radical…) utilisés à profusion, ce qui, par moments, ne fait qu’alourdir le propos. Le résultat ? De nombreuses répétitions qui, si utilisées avec parcimonie, peuvent être pertinentes, rendent le propos étouffant.


Plus gênant encore, mais lié avec ce qui a été dit précédemment, l’apparente solidité de l’analyse ne m’a pas semblé tenir toutes ses promesses. Pour un essai d’une centaine de pages, avoir des répétitions à outrance empêchent de véritablement approfondir ses idées. Et les simplifications dont fait preuve l’auteure, néanmoins nécessaires à des fins de pédagogie, en deviennent contre-productives. L’articulation des différents arguments et idées m’ont bien souvent semblé ne pas aller de soi. On a donc un livre qui ne fait que survoler un sujet pour le moins complexe et dense.


La politique n'est rien d'autre qu'un moyen humain pour résoudre le pluralisme inévitable qui caractérise les sociétés humaines.

Pour terminer sur la forme, je tiens à souligner un élément qui m’a profondément dérangé, malheureusement : les fautes d’orthographes. Pourtant n’étant pas un véritable chasseur de fautes grammaticales ou de syntaxes, j’en ai repérées tout de même plusieurs (“de telles approchent refusent” page 21, “mènent au changement souhaite” page 30, “ce but à un impact” page 34, etc...). Beaucoup trop à mon sens.


Pour conclure, Sophie Heine, sincèrement pro-européenne, s'essaie à un exercice ardu : entre la fin de l'Union Européenne telle qu'on la connaît et son maintien avec ces différentes limites (ou statu quo), elle nous propose une troisième voie : un fédéralisme européen pleinement souverain. Projet ô combien ambitieux et, bien qu'argumenté, difficilement convaincant. La faute à une argumentation bancale et une simplification et répétition du propos qui ne font qu’alourdir le fond de cette analyse qui, pourtant je pense, présente de nombreux éléments pertinents. Vraiment dommage.


Similairement à l'aberration anthropologique postulant que la principale définition de soi devrait dériver du travail, il paraît injustifié de supposer que chaque individu souhaiterait participer activement et constamment à la prise de décision collective.

A travers ce livre, Sophie Heine défend une vision de l’Europe plutôt iconoclaste et originale tant cette dernière est, en ce moment, au centre de bon nombre de critiques, souvent pertinentes d’ailleurs. Contre tous les mouvements nationalistes anti-européens et les défenseurs acharnés de l’Union européenne, l’auteure suggère un projet européen véritablement fédéraliste et pleinement souverain qui mettrait au cœur de ses préoccupations la liberté et l’intérêt de chacun. Le résultat serait un gouvernement européen fondé sur la démocratie représentative dans lequel les nations passeraient désormais au second plan. Fort d’un constat sur l’Union européenne lucide et critique, ce projet mérite que certains penseurs, dont Sophie Heine fait partie, s’y attardent et le défendent. Si le fond de cette proposition est légitime, en revanche, la forme que l’auteur utilise pour la défendre m’a quant à elle particulièrement déçu. Construite autour d’une poignée de mots clés (radical, libéral, démocratie, cosmopolitisme, etc…), sans doute pertinents, l’argumentation m’a semblé plutôt inégale par moment. La faute à une répétition des différentes idées directrices de l’auteure qui ne fait qu’alourdir le propos. Si un besoin de simplification et de pédagogie est évidemment nécessaire tant le sujet auquel s’attaque ce livre est dense et parfois complexe, avoir une approche si répétitive m’a rendu sa lecture particulièrement étouffante. Vraiment dommage, l’idée que défend cet essai est pourtant singulière et intéressante. Pour finir, je tiens à remercier les équipes de Babelio qui m’ont permis de découvrir ce livre à travers une Masse Critique.


“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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