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Winston Churchill - François Kersaudy (2021)


Une biographie complète et fascinante sur l'un des plus grands personnages du XXème siècle. A lire absolument pour qui aime l'histoire.


 

Winston Churchill, François Kersaudy, Tallandier, Texto, 2021

La vie de Winston Churchill, homme d’État et homme de guerre exceptionnel, est un roman ; elle est ici racontée comme tel, sans un mot de fiction.


Se fondant sur des recherches dans les archives de huit pays, la consultation de quelque quatre cents ouvrages et l’interview de nombreux acteurs e témoins, ce récit épique mené brillamment par François Kersaudy montre comment un homme solitaire, longuement façonné par d’exceptionnels talents et de singulières faiblesses, a pu infléchir le cours de notre siècle.

 

Winston Churchill. Nous avons tous croisé ce nom, à un moment où un autre de notre scolarité. En cours d’histoire, nous sommes tous tombés sur ce personnage, souvent associé à juste titre à la Seconde Guerre mondiale. Pour beaucoup, il est l’homme qui est arrivé à la tête de la Grande-Bretagne en 1940 et s’est plongé corps et âme dans la guerre contre le nazisme pour l’anéantir. Peut-être avons nous déjà entendu l’une de ses formules légendaires dont lui seul avait le secret, comme celle qu’il avait prononcée lors de son premier discours en tant que Premier Ministre à la Chambre des communes, le 13 mai 1940 : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, de la sueur et des larmes ! ».


Mais que savons-nous réellement de cet homme ? Que se cache-t-il derrière l’ombre qui l’entoure? Tellement de choses à vrai dire. Par son courage, par son charisme, par son combat contre le nazisme, par sa verve et ses discours si puissants, il est l’un des hommes ayant marqué le XXème siècle de son empreinte. À travers ce livre, François Kersaudy, historien spécialiste de l’histoire contemporaine et de Churchill, lève le voile sur ce personnage hors-normes.


Quel est donc ce destin cruel et facétieux, qui replonge sans cesse Winston Churchill dans les mêmes situations absurdes et dramatiques ?

L’amour de la politique et de la guerre


Dans notre imaginaire collectif bien français, par naïveté autant que par manque d’intérêt peut-être, il semblerait que Winston Churchill soit arrivé en 1940 pour combattre le nazisme, puis ressorti de l’Histoire une fois que la guerre fut terminée. En forçant le trait encore un peu plus, on pourrait affirmer que Winston Churchill est si fermement attaché à la Seconde Guerre mondiale qu’on en oublierait toute la richesse de sa carrière politique et militaire de la première moitié du siècle (il arriva à la tête de la Grande-Bretagne alors qu’il était âgé de 64 ans), autant que la fin de sa vie (il mourut à 90 ans en 1965). Or, rien n’est plus éloigné de la vérité. Son héroïsme contre le nazisme est certes, à bien des égards, incroyable, mais c’est bien toute sa vie qui fut un véritable roman d'aventures.


Dans cette biographie, on ne peut que rendre hommage à son auteur pour la façon dont il rend la vie de Churchill si épique et fascinante. S’il y a bien quelques répétitions (ce livre fait quand même plus de 800 pages), François Kersaudy n’élude aucun aspect de la palpitante carrière du « vieux lion ». De son enfance à sa mort, la densité de cet ouvrage permet d’aborder la vie exceptionnelle d’un homme qui a littéralement fait l’Histoire. Et avec une plume d’une simplicité parfois déconcertante tant les faits, notamment de guerre, sont souvent complexes et imbriqués les uns dans les autres, on ne peut que se plonger avec plaisir dans cette biographie qui a tout d’un véritable roman.


Il est vrai qu’à tous égards, l’ombre de lord Randolph continue de peser sur le comportement de son fils.

Winston Churchill est né en 1874 d’un père député, lord Randolph Churchill, et d’une mère américaine, Jennie Jerome. Souvent délaissé par ses parents, grandissant auprès de sa nourrice et le plus souvent dans des pensions, il est fasciné par son père et l’histoire de sa famille. En effet, l’un de ses ancêtres, John Churchill, premier duc de Marlborough, battit sa réputation sur les champs de batailles, notamment à Blenheim où il vainquit les troupes de Louis XIV. Comment peut-on s’étonner ensuite de la fascination du jeune Winston pour la politique et la guerre ? Car s’il y a bien une constante chez cet homme, c’est bien sa passion pour ces deux arts.


C’est ainsi que, très tôt, il s'engagea dans l’armée. A la fin du XIXème siècle, il participa à quelques guerres, notamment à Cuba, au Soudan, en Inde et surtout en Afrique du Sud lors de la seconde guerre des Boers. Ayant fait ses preuves comme correspondant de guerre en parallèle de son engagement dans l’armée, il partit pour l’Afrique du Sud en 1899. Véritable casse-cou, n’ayant jamais peur du danger (c’est un trait de caractère qu’il gardera toute sa vie), sa bravoure fut mis à l’honneur lors d’un raid impliquant un train blindé, et fut capturé. Il réussit à s’échapper et parcourut plus de 480 kilomètres pour atteindre une ville alors portugaise. Cet épisode lui valut une certaine notoriété en Grande-Bretagne et lui permit de devenir député conservateur en 1900.


Winston Churchill est irrésistiblement attiré par les événements exceptionnels, par l’action… et par le danger.

Au tout début du XXème siècle, les débats font rage au Parlement britannique entre les conservateurs, adeptes du protectionnisme, et le parti libéral qui était alors particulièrement important. Churchill, qui se fait déjà remarquer par sa verve et son charisme, est lui partisan du libre-échange. Il se rapproche ainsi peu à peu des libéraux et finit par les rejoindre en 1904. Aux élections de 1906, il se fait réélir sous pavillon libéral. Kersaudy commentera cet épisode en ces termes : « Certains changent de principes pour l’amour de leur parti ; Winston, lui, a changé de parti pour l’amour de ses principes ».


Personnalité influente mais esseulée


Devenant peu à peu l’une des personnalités politiques les plus en vue du moment, il devint Ministre de l’Intérieur en 1910, poste qu’il occupa à peine deux ans. En effet, fort de son passé de militaire, il est nommé dès la fin 1911 Premier Lord de l'Amirauté (ce qui peut être assimilé au Ministre de la Marine). C’est lorsqu’il était à ce poste que la Grande-Bretagne entra en guerre.


Si c’est la Seconde Guerre mondiale qui lui apporta la gloire, il ne faut pas pour autant négliger sa participation à la Première Guerre mondiale. Certes, la lumière n’était pas sur lui, il ne jouait que les seconds couteaux avec un rôle moins central qu’il ne l’aurait aimé. Pourtant, son impact sera crucial. Toujours curieux, fasciné par les innovations, il sera par exemple, l’un des premiers à croire à l’intérêt d’un char d’assaut et accélèrera les recherches. Croyant avoir reçu le génie militaire de son ancêtre en héritage, mais n’ayant jamais été formé à la stratégie militaire (lors de son passage dans l’armée, il n’était que lieutenant de cavalerie, grade qui ne lui permettait pas de suivre une réelle formation en la matière), il mettait son nez dans les affaires d’autres ministères. Et les résultats n’étaient pas toujours au rendez-vous. Il fut par exemple l’un des fervents défenseurs d’une intervention dans les Dardanelles, si ce n’est son premier promoteur. Ce fut un échec cuisant, dont il n'était néanmoins que très partiellement responsable. Toujours prêt à se mettre en danger, il se rendit à Anvers pour défendre la ville aux côtés des Alliés. Fin 1916, David Lloyd George devient le Premier Ministre d’une coalition entre libéraux et conservateurs. Churchill devient alors ministre de l’armement.


Dès la fin de la guerre, il devient ministre de la guerre, puis secrétaire d’Etat aux colonies. Par bien des aspects, Churchill garde certaines idées propres au XIXème siècle. Défenseur absolu de la grandeur de la Grande-Bretagne, il restera très longtemps un impérialiste convaincu. En parallèle, il commence à s’inquiéter de l’essor du communisme partout en Europe. Toujours entouré d’un certain prestige, mais esseulé, les libéraux le lâchant peu à peu, il ne put que s’incliner : en 1922, à la suite d’une campagne durant laquelle il tomba malade, il perdit son siège de député. Ce qui lui valut une fameuse expression : « En un clin d'œil, je me retrouvai sans ministère, sans siège, sans parti et sans appendice ».


Si cette période est pour lui particulièrement déprimante, n’ayant plus aucune fonction, il sut néanmoins rebondir chez les conservateurs, parti auquel il adhéra de nouveau en 1924. Il redevient même député cette année-là, et même Chancelier de l’Echiquier, c’est-à-dire ministre de l’économie. Or s’il a toujours été un grand mordu de politique, force est de constater que l’économie n’est pas le secteur dans lequel il excelle. Son passage à ce ministère est donc relativement peu représentatif de l’homme politique qu’il a été. En 1929, son parti perd aux élections, et Churchill redevient simple député. Commence pour lui une nouvelle période difficile.


Néanmoins, s’il n’occupe plus de postes prestigieux, Churchill n’en reste pas moins un homme très actif. Il écrit de nombreux ouvrages et réalise des conférences aux Etats-Unis. Face à la montée de l’hitlérisme, et conscient du danger que cela représente, il évoquera très tôt la nécessité pour la Grande-Bretagne de se réarmer, chose qui n’est alors que très peu entendue… Pourtant, durant la période trouble que représentent les années 1930, Churchill est l’un des seuls à s’opposer au réarmement de l’Allemagne, et s’inquiète de la montée du nazisme. Peu écouté par ses pairs, certains hauts fonctionnaires lui feront confiance et lui donneront certaines informations capitales au sujet de l’Allemagne, et de sa politique de réarmement. La crise suscitée par l’abdication d’Edouard VII n’arrangera pas les choses, Churchill montrant son soutien au roi contre l’opinion publique qui le conspua. Cela étant, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Churchill est toujours un homme politique particulièrement influent en Angleterre : ses positions farouches contre Hitler et les critiques féroces qu’il émet contre le gouvernement en place, trop attentiste et naïf à son goût, notamment lors des accords de Munich en font l’une des figures les plus écoutées de l’époque.


Le héros de la guerre


Fin 1939 et début 1940, les choses s’accélèrent. L’Allemagne envahit la Pologne, et Churchill est nommé Premier Lord de l'Amirauté et membre du Cabinet de guerre, tout comme lors de la Première Guerre mondiale. Mais face aux mouvements allemands, le gouvernement anglais n’a d’autre choix que de créer un gouvernement d’union nationale. Avec son expérience politique et son passé de militaire, Churchill se retrouve Premier Ministre sans réelle adhésion, presque comme choix par défaut. Mais dès les premières semaines, et alors que la plupart des autres pays d’Europe tombent les uns après les autres (la Belgique, la Norvège, puis la France…) Churchill arrivera à rassembler l’opinion publique à ses côtés, à préparer la population à une guerre longue et douloureuse, et à convaincre la Grande-Bretagne que la seule solution pour assurer son indépendance est de résister et de se battre.


Rien de tout cela ne peut inciter à l’optimisme, mais le tout nouveau Premier Ministre, à la fois soldat, politicien, journaliste et historien, sait fort bien qu’une armée ne peut tenir que par le moral de l’arrière ; c’est pourquoi, en présentant son gouvernement aux Communes cet après-midi-là, il va présenter un discours méticuleusement préparé, qu’il a conçu comme un vibrant appel aux armes : « Je voudrais dire à la Chambre ce que j’ai dit à ceux qui ont rejoint ce gouvernement : “Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, de la sueur et des larmes !”.

Si Churchill est âgé de 64 ans au début de cette nouvelle guerre, il a toujours la vigueur et la volonté de sa jeunesse. Infatigable, mélangeant souvent volontarisme et dirigisme, se mêlant d’absolument tout, rédigeant des centaines de notes par jour qu’il envoie aux principaux concernés, ses plus proches collaborateurs auront du mal à canaliser son énergie et son imagination débordantes. Roosevelt aura alors cette fameuse phrase à son égard : « Winston a cent idées par jour, dont trois ou quatre sont bonnes ». Si, postérieurement, Churchill a eu les résultats qu’on connaît, c’est aussi parce qu’il a fait vivre à son entourage un véritable enfer, ce dernier devant à la fois le canaliser tout en exerçant ses fonctions en période de guerre.


Néanmoins, cette énergie folle est souvent utilisée à bon escient. Il travaillera Roosevelt longtemps au corps pour le convaincre de faire entrer les Etats-Unis dans la guerre, chose qu’il obtient enfin en 1941. Leur collaboration tout au long de la guerre fut plutôt bonne, bien qu’à plusieurs reprises des divergences apparurent, notamment sur le cas de la colonisation. Churchill s’inclina à plusieurs reprises afin de ne surtout pas froisser son homologue américain, mais ces divergences se firent jour surtout entre les états majors de deux pays, chacun ayant des intérêts différents. Kersaudy laisse apparaître quant à lui une hypothèse, celle selon laquelle Churchill aurait romantisé et idéalisé son entente avec Roosevelt, ce dernier étant bien plus froid à son égard.


C’est un fait : Churchill, stratège brouillon, continue à confondre le souhaitable et le possible, faisant ainsi perdre un temps précieux à ses chefs d’état-major comme à ses planificateurs.

C’est sans doute lors de la Seconde Guerre mondiale que l’on voit véritablement toute l’ampleur du personnage Churchill. Politiquement souvent ambigu, suivant les intérêts de la Grande-Bretagne avant tout, quitte à se rapprocher de Staline ou Tito par exemple, il fut la pierre angulaire des forces Alliées. Militairement hyperactif, d’une inventivité incroyable, capable de mettre de côté l’ensemble de la guerre pour se focaliser sur des micro-détails, il dû épuiser bon nombre de militaires. Le général Ismay, qui pendant la guerre fut l’intermédiaire entre Churchill et le commandement, eut ses mots ironiques à son égard : « C’est le plus grand génie militaire de l’histoire : il peut utiliser une division sur trois fronts à la fois ! ».


Il n’en demeure pas moins que par sa volonté sans faille, une activité hors du commun pour son âge (il aurait parcouru plus de 160 000 kilomètres tout au long de la guerre), il réussit à contenir, puis anéantir le Troisième Reich. Pourtant, à la fin de la guerre, alors qu’il était au sommet de sa gloire, il perdit les élections législatives de 1945 au profit des travaillistes et de Clément Attlee.


Une après-guerre toujours aussi active


Devenu chef d’opposition au sortir de la guerre, Churchill n’en reste pas moins très actif sur les affaires de politique étrangère. Il sera d’ailleurs le premier à utiliser la fameuse expression souvent entendue, le « rideau de fer », pour qualifier la mainmise de l’URSS sur l’Europe de l’Est. Il soutiendra également le projet européen porté par les « pères » de l’Europe. Toujours absorbé par la politique, il redeviendra Premier Ministre en 1951. Il sera d’ailleurs aux côtés d’Elizabeth II lors de son couronnement. Churchill recevra également le prix Nobel de littérature la même année. Victime d’un AVC, puis affaibli par son âge, il sera contraint de démissionner en 1955. Il restera député jusqu’en 1964, et mourut en janvier 1965 à l’âge de 90 ans.


La deuxième conclusion sera sans doute que la réussite du personnage est attribuable au moins autant à ses défauts qu’à ses qualités.

Que retenir, enfin, de cette formidable biographie ? D’abord, peut-être la forme. Malgré quelques répétitions, la plume est claire et, presque, épique. Il faut bien cela, sans doute, pour exposer la vie d’un homme tel que Winston Churchill. Mais, surtout, à travers ces plus de 800 pages, c’est près d’un siècle de l’histoire de la Grande-Bretagne que nous vivons à travers les yeux de ce personnage incroyable. Hyperactif, infatigable et toujours au cœur des plus grands événements, cet homme haut en couleur aura été de ceux, très rares, à avoir véritablement écrit et bouleversé l’histoire du XXème siècle. Personnage complexe, avec un caractère bien trempé, parfois enfantin, il aura été un homme politique capable de faire vibrer les foules avec ses discours et ses formules dont lui seul avait le secret. Mais si son nom est aujourd’hui si fermement attaché à celui de la Seconde Guerre mondiale, s’il est vrai que la victoire Alliée tient pour beaucoup à son engagement sans faille, c’est parce qu’il a su remuer ciel et terre pour faire résister la Grande-Bretagne et l’Europe libre face à l’Allemagne nazie. Pourtant, à la lecture de cet ouvrage, force est de constater que ses exploits tiennent autant à son courage, à son intelligence et à son énergie qu'à un bon nombre de défauts : impulsivité, amateurisme, idéalisme, et égoïsme. C’est ce savant mélange qui rend Churchill si particulier, aussi attachant qu’exaspérant. Comme le soulignera François Kersaudy en guise de conclusion, il est sans doute trop tôt pour saisir tout l’apport et l’ampleur de Churchill dans l’histoire mouvementée du XXème siècle. Mais une chose est sûre : le « vieux lion » aura toujours une place singulière dans l’Histoire mondiale, une place qu’il se sera seul forgé. Une biographie à lire pour tous ceux qui souhaitent se plonger dans l’histoire du XXème siècle.


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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