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La Promesse de l'aube - Romain Gary (1960)


Un roman bouleversant sur une expérience humaine universelle : l'amour maternel dans ce qu'il a de plus grandiose, de plus beau, mais aussi de plus radical et dévorant.


Un roman éblouissant sur l'amour marternel dans ce que qu'il a de plus beau, et de plus radical.
 

La promesse de l’aube, Romain Gary, Folio, 1973 (1960)

«– Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es !

Je crois que jamais un fils n’a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là. Mais, alors que j’essayais de lui expliquer dans un murmure rageur qu’elle me compromettait irrémédiablement aux yeux de l’Armée de l’Air, et que je faisais un nouvel effort pour la pousser derrière le taxi, son visage prit une expression désemparée, ses lèvres se mirent à trembler, et j’entendis une fois de plus la formule intolérable, devenue depuis longtemps classique dans nos rapports : – Alors, tu as honte de ta vieille mère?»

 

La Promesse de l'aube est sans doute l'un des romans les plus emblématiques de Romain Gary. D'origine juive ashkénaze, Roman Kacew est né en 1914 à Vilna (Vilnius, capitale lituanienne, alors dans l’ancienne Pologne). Élevé seul par sa mère Mina Owczyńska, ils ont tous les deux vécu dans des conditions souvent difficiles, allant de Vilnius à la Russie en passant par la Pologne. C’est en 1928 qu’ils arrivèrent à Nice. 


Roman Kacew se passionne depuis son plus jeune âge pour la littérature, écrivant notamment entre 1933 et 1937 une œuvre redécouverte récemment, Le Vin des morts, C’est après la guerre qu’il se fit connaître. Parmi ses romans les plus célèbres, on peut citer Éducation européenne (1945), Les Racines du ciel (1956) qui lui valut le prix Goncourt, ou encore La Vie devant soi (1975) signé sous le pseudonyme d’Émile Ajar, livre grâce auquel il reçu un deuxième prix Goncourt, fait unique dans l’histoire de la récompense, un auteur ne pouvant en recevoir deux. C’est ce tour de passe-passe qui contribua en grande partie à faire de Romain Gary un auteur à part dans la littérature française.


Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. 

Mais revenons à La Promesse de l’aube. Publié en 1960, ce roman représente indéniablement l’une des plus belles portes d’entrée donnant sur l'œuvre de Romain Gary. Le romancier, mêlant souvent d’une façon ou d’une autre réalité et fiction, revient ici sur son enfance et sur le personnage le plus important de sa vie : sa mère. Cet ouvrage quasi autobiographique explore ainsi les sacrifices et les rêves d'une mère pour son fils, et comment ces derniers façonnent l'existence d'un jeune homme. En plongeant dans ce récit, on découvre non seulement l'univers fascinant de Gary mais aussi une expérience humaine universelle : l'amour maternel dans toute sa splendeur et ses excès.


Une mère hors du commun


Au centre de La Promesse de l'aube se trouve donc Nina (sa mère s’appelant en réalité Mina). Juive d'Europe de l'Est, elle traverse son existence, souvent précaire, jalonnée de nombreuses épreuves et humiliations avec un seul objectif, une obsession plutôt : faire de son fils unique, l’amour de sa vie, Romain, un homme exceptionnel. Général ou ambassadeur de France, peu importe tant que son fils entre dans l’Histoire.


Ça fait rien, vous pouvez dire qu’elle vous aimait, elle aurait fait n’importe quoi pour vous…

Nina traverse un lot innombrable d’épreuves, qu’elle affronte toujours et dont elle se remet à chaque fois. Elle connaît des épisodes de relative aisance, entrecoupés de longues périodes sans le sou, où elle est contrainte d'enchaîner les petits boulots pour joindre les deux bouts. Ses sacrifices sont nombreux ; comment ne pas se remémorer ici le passage lors duquel elle lèche les restes d'une poêle pour nourrir son fils, révélant ainsi toute la profondeur de son dévouement ?


Néanmoins, peu importe la misère, les privations ou les humiliations, l’ambition qu’elle porte au plus profond d’elle-même reste inchangée. Tout miser sur son fils. Dans les moments les plus difficiles, l’avenir qu’elle souhaite lui donner est la seule chose qui lui importe. Elle se nourrit de son rêve, et de son fils, le seul qui compte par-dessus tout à ses yeux. Et à quel pays veut-elle offrir son fils chéri, prodige en devenir ? À la France bien sûr. Bien qu’elle n’y soit sans doute jamais allée, la culture française et son histoire l’ont profondément marqué, jusqu’à l’idéaliser.


Mais Nina est bien plus qu’une mère courage. C’est une artiste ratée qui mise tout sur son enfant, vivant à travers lui et ses rêves. Exubérante, grande gueule, et pourtant profondément attendrissante, elle essaie de ne jamais rien montrer à son fils : ni ses galères, ni ses doutes, encore moins ses faiblesses. Ce personnage haut en couleur, qui ne se laisse jamais sombrer dans les ténèbres, crée un monde plein de couleurs pour son fils, lui inculquant un amour profond pour la culture française, de Victor Hugo à Charles de Gaulle.


Sa naïveté et son imagination, cette croyance au merveilleux qui lui faisaient voir dans un enfant perdu dans une province de la Pologne orientale, un futur grand écrivain français et un ambassadeur de France, continuaient à vivre en moi avec toute la force des belles histoires bien racontées. Je prenais encore la vie pour un genre littéraire. 

Cette extrême dévotion a néanmoins un coût : celui de donner à son fils un amour si intense qu’il en devient dévorant. La Promesse de l’aube, c’est aussi le livre de l’amour maternel poussé à son paroxysme. La mère de Romain Gary a ainsi pendant longtemps, si ce n’est tout au long de sa vie, était présente, trop présente. A tout donner pour son fils, Nina a failli le détruire. Failli, car Romain Gary s’est sauvé par la littérature.


Romain Gary : la naissance de l’écrivain


On le voit, Romain Gary grandit sous la pression des attentes maternelles. Sa mère souhaite qu'il devienne un grand homme, couvert de gloire. Cette quête de grandeur pousse Gary à explorer divers arts – la musique, la peinture, le chant – sans grand succès. Toutefois, il finit par trouver sa voie en tant qu'écrivain, séducteur et diplomate. Non sans avoir, chaque jour, la présence de sa mère à ses côtés.


Ce fut sans doute ce jour-là que je suis né en tant qu’artiste ; par ce suprême échec que l’art est toujours, l’homme, éternel tricheur de lui-même, essaye de faire passer pour une réponse ce qui est condamné à demeurer comme une tragique interprétation.

Si Romain Gary est devenu cet écrivain majeur, c’est sans nul doute grâce à sa mère. Elle a vécu sa vie par procuration, elle l'artiste ratée, en plaçant en son fils, si jeune, si naïf, tous ses espoirs déçus. Et ce faisant, Nina a construit l’avenir de son fils : elle l’a fait, littéralement.


Face à tant d’amour maternel, face à ce trop plein d’amour même, Romain Gary n’a eu de cesse, tout au long de sa vie, de réussir le pari que sa mère a fait sur lui. Malgré ce terrible fardeau, il réussit à se faire lors de la guerre, à se construire une carrière d’écrivain renommé. Tout cela, afin de ne jamais la décevoir. Et la vie lui a donné raison. Outre le fait d’avoir obtenu deux fois le prix Goncourt (chose normalement impossible, on l’a dit), il a également fait ses preuves au service de la France : deux citations à la Croix de Guerre (1939-1945), Compagnon de la Libération, Commandeur de la Légion d’honneur. 


Comme une revanche sur la vie, elle qui n’a jamais pu percer, Nina est devenue la mère d’un être exceptionnel. Et c’est ici que le titre de ce roman prend tout son sens. La promesse de l’aube, c’est avant tout une promesse que Romain Gary s’est faite à l’aube de sa vie : donner un sens au sacrifice que sa mère à fait en faisant de lui le centre de son monde.


Mais je suis un vieux mangeur d’étoiles et c’est à la nuit que je me confie le plus aisément. 

Un chef-d'œuvre initiatique sur l’amour et la séparation 


La promesse de l’aube est un roman initiatique dans lequel un jeune garçon essaie de trouver sa place au sein d’un monde en perpétuel mouvement. Son monde. Romain Gary a vécu toute sa jeunesse et son adolescence avec comme unique point de repère sa mère. Sa situation géographique changeait au gré de la situation financière de Nina ; difficile ainsi de trouver une certaine forme de stabilité à laquelle se raccrocher lorsqu'on est enfant. Le jeune garçon a donc dû apprendre à vivre à l’ombre de sa mère et de son amour aussi merveilleux qu’encombrant. Après un certain nombre de tentatives artistiques, Romain Gary trouve son échappatoire, autant pour faire plaisir à sa mère que pour lui permettre de s’évader, un peu.


Vient ensuite la guerre. Et ce roman, d’abord marqué par cet amour inconditionnel que porte cette mère à son enfant, devient ensuite celui de la séparation et de la perte. Durant ces cinq années, Gary ne reverra plus sa mère, sa dernière visite ayant eu lieu dans une clinique alors que Nina était déjà souffrante. Néanmoins, elle reste omniprésente dans l’esprit du jeune Gary, le marquant d’une influence indélébile qui façonne ses choix et son destin. Cette omniprésence est à la fois un fardeau et une source de motivation, une manifestation de l'amour absolu qui continue de guider Gary même après la mort de sa mère.


Je n’ai pas réussi à redresser le monde, à vaincre la bêtise et la méchanceté, à rendre la dignité et la justice aux hommes, mais j’ai tout de même gagné le tournoi de ping-pong à Nice, en 1932, et je fais encore, chaque matin, mes douze tractions, couché, alors, il n’y a pas lieu de se décourager.

Mais La promesse de l’aube est aussi une œuvre profondément tendre, où se mêlent mélancolie et humour, caractéristiques récurrentes des œuvres de Romain Gary. Les moments de désespoir, comme la tentation du suicide de Gary sauvé par un chat, sont contrebalancés par des épisodes de légèreté et de rire, rendant ce roman profondément humain. La plume de Gary, riche et pourtant si simple, mais ô combien poétique, sublime son récit pour le rendre à la fois accessible et universel. 


Enfin, pour clôturer cette chronique, peut-être déjà un peu longue, mentionnons ici, à défaut de le traiter tant le sujet est vaste, l’un des thèmes sous-jacents à l’ensemble de l'œuvre de Gary : celui de l’identité. Si ce récit ne met en exergue que la jeunesse de Gary, il pose les jalons de ce que sera tout au long de sa vie pour lui une véritable quête. Tiraillé entre ses aspirations et celles de sa mère, Gary n’aura de cesse de se créer des alias et autres pseudonymes et de se chercher. Preuve en est la difficulté qui court tout au long de ce livre pour Gary de trouver son nom littéraire. Et la mystification qu’il opéra sous le nom d’Émile Ajar.


J’ai voulu disputer, aux dieux absurdes et ivres de leur puissance, la possession du monde, et rendre la terre à ceux qui l’habitent de leur courage et de leur amour.

La promesse de l’aube est bien plus qu'un simple roman : c'est un hommage vibrant à une mère extraordinaire et à l'amour inconditionnel qu'elle porte à son fils. Ce livre poignant renvoie à une expérience humaine universelle : l’amour maternel, dans ce qu’il a de plus exclusif, de plus radical peut-être, mais aussi de plus beau. Car cette mère Nina, artiste ratée, a placé en son fils tous ses espoirs et ses ambitions. Elle ne vit que pour lui, qu’à travers lui, au point de parfois l'asphyxier. Mais peu importe pour Romain Gary : lui aussi l’aime. Et il se fera cette promesse qui le guidera tout au long de sa vie : être digne du sacrifice de sa mère, et devenir ce qu’elle a toujours rêvé qu’il soit. Ce roman est peut-être la plus belle entrée dans l'œuvre de Romain Gary. Profondément tendre, parfois drôle et ironique, La promesse de l’aube est à l’image des autres romans de son auteur : empreint de mélancolie. Lui qui porte l’amour total de sa mère à la fois comme un fardeau et comme une boussole, il se confronte, pour la première fois seul, au monde lors de la Seconde Guerre mondiale pour essayer, à sa manière, de réaliser une partie des rêves de sa mère. Fort de toutes les épreuves qu’il affronta durant sa jeunesse, de Vilnius à la Pologne, en passant par son arrivée en France, Romain Gary nous offre, avec ce récit, une formidable plongée au coeur de son passé, à l’origine de cette ambition morale qu’il portera tout au long de son oeuvre : sauver le monde autant qu’il le peut, le libérer des injustices. Si ce roman permet de lever une partie du voile qui recouvre le mystère Gary, il représente, peut-être, le plus bel hommage qu’un fils peut faire à sa mère. Absolument bouleversant. 


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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