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L'existentialisme est un humanisme, Jean-Paul Sartre (1946)

Retour sur un classique de philosophie. Contre tout déterminisme, Jean-Paul Sartre met le concept de liberté au cœur de sa pensée et nous invite radicalement à devenir les maîtres de notre vie.



 

L'existentialisme est un humanisme, Jean-Paul Sartre, Folio Essais (1946)


“Beaucoup pourront s’étonner de ce qu’on parle ici d’humanisme. [...] Nous entendons par existentialisme une doctrine qui rend la vie humaine possible et qui, par ailleurs, déclare que toute vérité et toute action impliquent un milieu et une subjectivité humaine. [...] L’existentialisme n’est pas autre chose qu’un effort pour tirer toutes les conséquences d’une position athée cohérente. Il ne cherche pas du tout à plonger l’homme dans le désespoir. Mais si l’on appelle, comme les chrétiens, désespoir toute attitude d’incroyance, il part du désespoir originel. L’existentialisme n’est pas tellement un athéisme au sens où il s’épuiserait à démontrer que Dieu n’existe pas. Il déclare plutôt : même si Dieu existait, ça ne changerait rien ; voilà notre point de vue. Non pas que nous croyions que Dieu existe, mais nous pensons que le problème n’est pas celui de son existence ; il faut que l’homme retrouve lui-même et se persuade que rien ne peut le sauver de lui-même, fût-ce une preuve valable de l’existence de Dieu. En ce sens, l’existentialisme est un optimiste, une doctrine d’action.”


 

Publié en 1946, ce petit livre de Jean-Paul Sartre cherche à préciser de manière pédagogique ce qu’est la philosophie qu’il défend, à savoir l’existentialisme, et à expliciter son œuvre philosophique principale écrite trois ans plus tôt, L’Être et le Néant. De manière plus formelle, il s’agit du compte-rendu d’une conférence effectuée à Paris l’année précédente, le 29 octobre 1945. C’est à travers quelques grandes formules restées célèbres que le philosophe se propose d’expliciter globalement sa thèse. Par son accessibilité, L’existentialisme est un humanisme constitue une excellente introduction à la pensée de Sartre et, plus généralement, à la philosophie.


A la lecture de ce titre, une première question s’impose : pourquoi Sartre cherche-t-il à convaincre de l’humanisme de son existentialisme ? Pour y répondre, une brève contextualisation s’impose. Ses deux précédents ouvrages, L’Être et le Néant (1943) et le roman Les Chemins de la Liberté (1945) ont suscité la polémique tant dans les médias que chez les intellectuels. A l’époque existaient deux grands camps chez ces derniers, les catholiques et les communistes, et leurs critiques se retrouvaient parfois en ce que l’existentialisme développé par Sartre manquait d’humanisme et d’espoir. Critiques qui ont parfois affecté Sartre puisque, ce dernier, soutenait et admirait les communistes et leur vision de la société de l’après-guerre. C’est donc pour éclairer sa position, se défendre des critiques qu’on lui a faites et lever toute forme d’incompréhension et d’imprécision que Sartre accepte de mener cette conférence. Enfin, il semble important de préciser qu'à posteriori, Sartre a souvent regretté cette conférence, tant à cause de l’amoindrissement de sa pensée que cette tentative de vulgarisation l’a contraint à effectuer que par les approximations de ses concepts que cela a généré.


“Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après.”

Maintenant, venons-en à sa pensée elle-même, et à cette phrase si emblématique de la pensée sartrienne : “l’existence précède l’essence”. C’est tout l'existentialisme qui peut être abordé (et non résumé) par cette simple formule. Mais que nous annonce-t-elle ?


D’emblée, ces quelques mots nous proposent d’en finir avec tout déterminisme. Si l’existence précède l’essence, c’est que le sujet, l’homme, existe d’abord avant d’être défini par une quelconque essence. Contrairement à des objets qui sont avant tout définis par leur concept (comme par exemple un coupe-papier, dont l’essence est d’abord sa fonction, couper du papier, ce qui induit sa production, fabriquer un coupe-papier, et donc finalement son existence), l’homme arrive dans le monde avant sa définition et son essence.. En d’autres termes, nous existons avant de pouvoir être défini d’une quelconque manière, nous venons au monde en étant rien, et c’est tout au long de notre vie, par nos choix, par nos actes que nous finissons par nous définir. Il n’y a donc pas de nature humaine préexistante, qui réunirait préalablement l’ensemble des êtres humains. Par sa volonté, parce qu’il veut devenir, faire, réaliser, l’homme se construit et façonne son être. “Tel est le premier principe de l’existentialisme”.


En réalité, et on le pressent sans doute déjà, l’existentialisme sartrien, c’est avant tout un incroyable plaidoyer pour la liberté humaine. Une liberté radicale, totale. Et c’est ce qui nous conduit à évoquer une deuxième formule bien connue de Sartre :


“L’homme est condamné à être libre”

Pour comprendre cette phrase, il faut d’abord revenir à l’une des caractéristiques de l’existentialisme sartrien, à savoir son athéisme. Pour Sartre, et il s’en désole, mais Dieu n’existe pas. Et de cette affirmation, encore faut-il en tirer toutes les conséquences. L’homme est délaissé, seul, sans valeurs, sans morale. Tout est possible, plus aucune excuse n’est acceptable puisqu’on ne peut plus se cacher derrière une quelconque nature humaine, et encore moins derrière Dieu. Ainsi livré à lui-même, l’homme a donc une responsabilité totale. C’est pour cette raison que Sartre utilise cette expression : on est condamné, parce qu’on n’a pas été créé par Dieu, on doit inventer sans cesse l’homme, et on a donc une responsabilité absolue vis-à-vis de nos actions. Ce qui nous amène à la deuxième assertion : nous sommes libres, parce que totalement responsables de ce que l’on devient et de ce que l’on fait.


“Par ailleurs, dire que nous inventons les valeurs ne signifie pas autre chose que ceci : la vie n'a pas de sens, a priori. Avant que vous ne viviez, la vie, elle, n'est rien, mais c'est à vous de lui donner un sens, et la valeur n'est pas autre chose que ce sens que vous choisissez. Par là vous voyez qu'il y a possibilité de créer une communauté humaine.”

L’existentialisme sartrien est donc de ce fait radical. Radical, parce que notre responsabilité étant à chacun de nos choix pleinement engagée, nous ne pouvons plus nous cacher derrière des excuses plus ou moins légitimes. Radical, car à la fin, ne compteront que nos choix, ce que nous avons fait, ce que nous sommes devenus. Radical, parce que si nous n’avons pas réussi, ne sommes pas devenus ce que nous voulions être, c’est uniquement de notre faute. Pas celle des autres ou de la société. Que la nôtre. C’est ainsi que, pour Sartre, ceux qui se cachent derrière des excuses déterministes sont des lâches.


La philosophie sartrienne est donc également d’une immense exigence. Car à chacun de nos choix (et ne pas choisir, pour Sartre, c’est déjà choisir : “je dois savoir que si je ne choisis pas, je choisis encore”), ce n’est pas uniquement notre personne qui est impliquée, mais c’est l’humanité toute entière. En choisissant, nous avons une responsabilité vis-à-vis des autres. C’est pour cela que le sens que nous décidons de donner à notre vie doit être fondé sur des valeurs qui raisonnent pour l’humanité entière. En réalité, quand l’homme choisit, il le fait devant tous les hommes. Et face à lui, quand il le fait, une multitude de possibles s’offre à lui. Mais privilégier un possible plutôt qu’un autre est à l’origine d’une angoisse, concept propre à la philosophie sartrienne : le choix que nous faisons aura des conséquences. Finalement, c’est dans cette angoisse que l’homme prend conscience de sa liberté, liberté qui représente un véritable fardeau. Car, comme nous l’avons vu, notre liberté, on ne peut ni la refuser, ni en réchapper : on doit l’assumer.


En fin de compte, l’existentialisme sartrien est une éloge de la liberté dans sa conception la plus radicale. Refus catégorique du déterminisme et humanisme sans faille, la philosophie de Sartre met la notion de choix au cœur de son raisonnement. Et ce qui est sans doute le plus séduisant dans sa pensée, c’est la place qu’elle laisse au libre-arbitre et à la volonté : une place capitale. A travers des notions comme liberté, responsabilité, volonté, angoisse, Sartre nous invite à prendre notre vie en main, à choisir, à donner nous-même le sens que l’on veut à notre vie, mais surtout à inventer sans cesse l’humanité : son devenir sera celui que nous lui donnerons.


“Vous êtes libre, choisissez, c'est-à-dire inventez.”

“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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