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  • Photo du rédacteurMax

Home, Toni Morrison (2012)


Un roman aussi court qu'intense qui évoque sans concession l'Amérique des années 50 et ses démons : racisme, pauvreté, guerre, et donc violence.



 

Home, Toni Morrison, Editions 10/18, 2013 (2012)

Frank Money est Noir, brisé par la guerre de Corée, en proie à une rage folle. À Atlanta, il doit retrouver sa jeune sœur Cee, cobaye d'un médecin blanc, pour regagner Lotus en Géorgie, la ville de son enfance – « le pire endroit du monde ». S’engage pour lui un périple dans l’Amérique ségrégationniste des années 1950 où dansent toutes sortes de démons. Avant de trouver, peut-être, l’apaisement. Parabole épurée, violemment poétique, Home conte avec une grâce authentique la mémoire marquée au fer d’un peuple et l’épiphanie d’un homme.

 

Toni Morrison est une écrivaine américaine née en 1931 dans l’Ohio et morte en 2019. Issue d’une famille ouvrière, elle se tournera très tôt vers la littérature. A l’origine universitaire, elle deviendra par la suite une écrivaine à succès. En 1988, elle reçu le prix Pulitzer pour son roman Beloved, ce qui lui permet de gagner en notoriété, notamment en France. C’est en 1993 qu’elle reçu le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son oeuvre, faisant d’elle la huitième femme à recevoir cette prestigieuse récompense, et la première auteure afro-américaine à gagner cette distinction. Retour sur l’un de ses derniers livres, Home.


Home est un livre paru en 2012 aux Etats-Unis, particulièrement court (à peine 150 pages). A la frontière entre la nouvelle longue et le roman court, ce petit format permet d’être particulièrement efficace, d’aller directement à l’essentiel. Format d’autant plus pertinent qu’il traite d’une thématique éminemment difficile : la condition noire aux Etats-Unis au lendemain de la Guerre de Corée dans les années 1950. Ce roman raconte l’histoire d’un jeune homme noir, Frank, soldat lors de cette guerre et de retour aux Etats-Unis. Profondément traumatisé par l’horreur de son séjour en Asie, et d’un événement particulièrement difficile qu’il a vécu là-bas, c’est un homme brisé qui retourne dans son pays. Sujet à des crises d’angoisse, instable, il doit retourner à Atlanta pour retrouver sa sœur, malade. Ce voyage sera l’occasion pour lui de faire face à ses souvenirs, les plus beaux comme les plus difficiles, et d’affronter ses démons.


A qui est cette maison ? A qui est la nuit qui écarte la lumière A l’intérieur ? Dites, qui possède cette maison ? Elle n’est pas à moi. J’en ai rêvé une autre, plus douce, plus lumineuse, Qui donnait sur des lacs traversés de bateaux peints, Sur des champs vastes comme des bras ouverts, pour m’accueillir. Cette maison est étrange. Ses ombres mentent. Dites, expliquez-moi, pourquoi sa serrure correspond-t-elle à ma clef ?

C’est la première fois que je plongeai dans l'œuvre de Toni Morrison. Et autant dire d’emblée que je n’ai pas été déçu. Dès l’ouverture de ce livre, ce qui frappe inévitablement est la grande poésie qui se dégage des premières pages. Un lyrisme particulièrement émouvant, d’autant plus que la scène d’ouverture est d’une intensité remarquable. Un souvenir de la jeunesse de Frank, accompagné de sa sœur. Souvenir qui sera comme un fil rouge tout au long de ce court roman. Car la seule motivation de l’ancien soldat, c’est de retrouver Cee, jeune fille crédule et naïve, et de la sauver. Car à défaut de se sauver lui-même, Frank tient absolument à sauver celle qu’il a toujours protégé. A cet égard, Home est le roman d’un amour fraternel inconditionnel, celui qu’éprouve un jeune homme pour sa sœur.


Plus fondamentalement, ce roman est sans doute une terrifiante cartographie de la société américaine de cette époque, en pleine milieu des années 50. Sans aucune concession, Home est un formidable condensé de nombreuses thématiques sociétales qui minaient les Etats-Unis à cette époque : racisme, pauvreté, violence, soldats de retour du front totalement abandonnés… bref, Toni Morrison n’évite aucun sujet. Par le simple fait d’être un jeune homme noir sans argent, traumatisé par la guerre, Frank se retrouve interné de force dans un centre psychiatrique qui ne cherche absolument pas à le rétablir. D’ailleurs, la scène dans laquelle il s’en échappe est tout bonnement incroyable et reste l’un des meilleurs passages du roman.


Une armée où les Noirs ont été intégrés, c’est le malheur intégré. Vous allez tous au combat, vous rentrez, on vous traite comme des chiens. Enfin presque. Les chiens on les traite mieux.

Le retour au pays de Frank Money n’est qu’une angoissante traversée de l’enfer. De retour d’une guerre dont il n’aurait jamais dû revenir tant elle a été incroyablement meurtrière, le jeune homme se noie dans l’alcool, ce qui lui donne l’impression de le soulager, sans succès hélas. Les rencontres qu’il fait sur le chemin pour retrouver sa sœur sont toutes mémorables : un prêtre blanc qui l’aide à quitter la ville après son évasion, un homme noir qui l’accueille chez lui en signe de fraternité, et bien sûr les femmes de la petite ville dont il est originaire et qui joueront un rôle primordial dans ce roman. Toutes ces personnes donnent une note singulière à ce roman, et rythment le périple du jeune homme.


A la frontière entre la prose et la poésie, c’est un roman qui prend aux tripes. Home est avant tout un roman sur la survie, entre douleur et mélancolie, qui nous plongent dans le quotidien de personnages qui découvrent, peu à peu, le monde dans lequel ils vivent. Il s’agit presque ici d’un voyage initiatique du passage de l’enfance à la vie adulte. Car ce pays, cette maison pour laquelle s’est battu Frank, est un pays qui abandonne ses enfants, enfants qui doivent traverser l’enfer pour entrevoir l’espoir. C’est pour cela que, finalement, Home est un livre d’une grande humanité, un condensé de la réalité américaine qu’elle évoque sans aucune concession. Un grand livre.


Je ne me souvenais que des chevaux. Ils étaient tellement beaux. Tellement brutaux. Et ils se sont dressés comme des hommes.

Home est un roman aussi court qu’intense. A travers le retour d’un jeune soldat noir dans un pays qui l’a laissé tombé après sa mobilisation lors de la guerre de Corée et son périple pour sauver sa sœur malade, ce livre est un formidable condensé de l’Amérique des années 50. Sans aucune concession, Toni Morrison évoque un pays fracturé aux prises de ses vieux démons : racisme, pauvreté, guerre… Mais surtout, c’est la violence sous toutes ses formes (conjugale, institutionnelle, raciale) qui façonne ce roman. Oscillant entre prose et poésie, la plume de l’écrivaine nobélisée est particulièrement poignante et efficace : elle frappe toujours juste. Le format de Home (entre nouvelle longue et court roman) permet d’aller droit à l’essentiel tout en laissant le soin à ses lecteurs de suivre le parcours à la fois douloureux et nostalgique d’un frère et d’un sœur, Frank et Cee, qui, malgré leurs trajectoires personnelles, finissent par retrouver le lien qui les unissaient enfants. Home, c’est aussi le roman du passage de l’enfance à l’âge adulte, âge qui permet d’ouvrir les yeux sur un monde aussi terrible qu’injuste. C’est à travers toutes ces thématiques que surgit l’objet essentiel de ce livre : l’humanité, avec ce qu'elle a de meilleur comme de pire. Et c’est pour cela qu’il est sans nul doute nécessaire de le lire.


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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