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Pauline - Alexandre Dumas (1838)

Roman relativement méconnu, bien plus intimiste et mélancolique que les grands classiques de son auteur, sa lecture n'en reste pas moins captivante.


Un livre intimiste et assez méconnu d'Alexandre Dumas
 

Pauline, Alexandre Dumas, Le Livre de Poche, 2010 (1838)

La grande réussite de Dumas est d’avoir suscité à partir d’une femme mystérieuse, qui est peut-être l’ornement imaginé d’un récit de voyage, un roman poétique, de l’avoir prolongé par des épisodes de roman noir, d’avoir complété ceux-ci par une petite chronique des sociabilités mondaines à la fin de la Restauration et dans les commencements de la monarchie de Juillet, bref d’avoir varié les tonalités, tout en intriquant les unes dans les autres les traversées de divers sous-genres et de divers codes romanesques. J.-L. C.

 

Si on connaît Alexandre Dumas pour ses grands romans d’aventure, Le Comte de Monte Cristo (1844) et Les Trois Mousquetaires (1844) en tête, on ignore le plus souvent l’auteur compulsif qu’il a été. Certes, je vous entends d’ici m’opposer un argument difficilement contestable qui explique, en partie, la profusion de ses écrits, et qui a fait inévitablement couler beaucoup d’encre : oui, il a en effet collaboré avec Auguste Maquet. Néanmoins, s’il y a une légère nuance à apporter ici, ce serait celle-là : au début de leur collaboration, Maquet savait qu’il resterait dans l’ombre de Dumas et il a quand même été financièrement dédommagé suite à un procès (pas assez sans doute, je vous le concède). Malgré cet aspect de sa vie littéraire, Dumas reste un auteur majeur de la littérature française et est indéniablement l’un des plus grands auteurs de romans d’aventure populaires. Vous l’aurez compris, Dumas reste pour moi un écrivain incroyable (et on ne s’attaque pas à lui, point).


On voit mes larmes, n’est-ce pas, à travers mon sourire ?

Parmi tous ses livres encore trop méconnus, il y en a un qui parvient cependant à se détacher : Pauline (1838). Si ce roman arrive toujours à sortir de l’oubli, c’est parce qu’il est souvent étudié à l’école, mais également parce qu’il s’agit d’un des premiers romans écrits par Dumas. Lui qui était d’abord et avant tout connu comme dramaturge grâce à sa pièce Henri III et sa cour qui obtint un succès retentissant en 1829, a décidé à la fin des années 1830 de se lancer dans le roman. Choix éminemment payant quand on connait, comme je viens de l’évoquer, les grands classiques qu’il a rédigés peu après.


Mais revenons à ce livre, Pauline. J’ai précédemment mis l’accent sur les grands romans de Dumas, qui sont incontestablement connus et reconnus pour sa narration romanesque puissante et par l’ambition qu’il s’est donné pour chacun d’entre eux. Plus que des romans, ce sont en effet le plus souvent des fresques historiques, presque épiques, mettant en scènes des personnages haut en couleur, courageux, aventureux, honorables et masculins. Si Pauline dénote autant des grands romans de Dumas, c’est parce que ce livre est presque aux antipodes de ces derniers : on retrouve évidemment cet aspect aventureux propre à l’auteur, mais il s’agit d’un livre où Dumas se met lui-même en scène, bien plus intimiste, où le personnage central est une femme (comme dans La Reine Margot d’ailleurs). Plus étonnant encore, le genre même de ce livre est difficile à cerner : tantôt roman d’aventure, tantôt roman noir, parfois roman sentimental, souvent gothique. Bref, j’y reviendrai, mais Pauline est un livre à part dans la bibliographie de Dumas.



Toujours lui et toujours elle ! Il semblait qu’une puissance plus intelligente que le hasard nous poussait à la rencontre les uns des autres.


La première chose qui ressort à la lecture de ce livre, c’est peut-être sa construction elle-même. Véritable roman à tiroirs, les premières pages se concentrent sur Alexandre Dumas lui-même qui, pour ce livre, s'est mis en scène. Il nous raconte comment, au cours d’un de ses voyages, il est tombé plusieurs fois par hasard sur l’un de ses amis, Alfred de Nerval, accompagné d’une jeune femme mystérieuse. Ces deux jeunes gens voulaient apparemment voyager de manière discrète, et le profond trouble qui animait alors la jeune femme intrigua notre cher Dumas.


Quelques mois plus tard, Alexandre retrouve son vieil ami qui se décide à lui confier son histoire, et par-là même celle de sa compagne, qui évidemment s’avère être la fameuse Pauline. Sans entrer dans les détails de ses aventures, notons cependant ceci : à travers les mésaventures d’Alfred de Nerval qui l'amènent à rencontrer Pauline, on retrouve pour notre plus grand plaisir le souffle romanesque présent dans la plupart des autres grands textes de Dumas : rencontres fortuites, dangers, mystères aussi. Bref, d’une certaine façon, il me semble qu’il y a également dans ce roman la veine littéraire propre à Dumas.


Enfin, Alfred de Nerval en vient à nous confier le récit de Pauline elle-même. A son tour, elle devient la narratrice du roman qui lui est consacré et nous conte sa propre histoire. Une histoire sentimentale centrée sur un mariage malheureux, ou plutôt, sur son mari, le comte Horace de Beuzeval, qui cache un terrible secret… C’est d’ailleurs quand elle s’en aperçoit que lui arrivent toute une série de péripéties et qu’apparaît Alfred de Nerval.


Le grand malheur de notre époque est la recherche du romanesque et le mépris du simple.

On le voit, ce roman présente la particularité d’offrir la parole à trois narrateurs distincts, chacun poursuivant ce qu’avait commencé ou évoqué le précédent. Ces récits enchâssés les uns dans les autres lèvent peu à peu le voile sur le tragique vécu par Pauline et Alfred de Nerval. L’horizon de mystères qu’avait dressé les premières pages se voit peu à peu dissout et, finalement, sont données au lecteur les clefs pour comprendre le terrible destin qui accablera le jeune couple. Également, si une certaine forme de poésie recouvre l’ensemble du roman, on sera curieux d’observer comment certains passages, propres au roman d’aventures, se retrouvent associés à des pages tenant bien plus du roman sentimental d’un amour impossible, ou encore du roman noir. Tout cela mis bout-à-bout donne à ce roman une identité conceptuelle et littéraire assez unique, me semble-t-il.


Tout ceci m'amène à évoquer la deuxième thématique que renferme Pauline : le mystère et les secrets. Je les déjà évoqué, mais le romancier a fait de son livre un roman conçu sous le prisme du mystère. Bien évidemment, mettez de côté nos chers thrillers contemporains, il ne s’agit pas ici d’un livre au suspense déroutant, vous l’aurez compris. Néanmoins, de nombreux éléments sont véritablement intrigants. D’abord et évidemment, le personnage de Pauline est en lui-même très révélateur. Car oui, si la première fois qu’apparaît Pauline dans ce livre est de manière physique, sous les yeux d’Alexandre Dumas, une ombre semble néanmoins planer sur elle. Tout comme Alexandre, on ignore tout de son identité, et la description qu’en fait Dumas accentue l’impression d’étrangeté qui assaille le lecteur. Qui est cette femme qui accompagne Alfred de Nerval ? Pourquoi a-t-elle l’air si triste ? si absente ? En définitive, c’est presque un spectre qui surgit devant Dumas, et donc devant nous aussi. Tout l’objet du livre sera par la suite de lever le voile sur la destinée de Pauline, et comprendre pourquoi elle est, au fond, si tragique…


- Pourquoi souriez-vous ainsi ? lui dis-je. - C’est que vous voyez toujours l’avenir de la terre, et moi l’avenir du ciel.


Mais un autre personnage vaut le détour : le comte Horace de Beuzeval. Sur lui aussi plane un nuage de mystères. Il nous est présenté comme un jeune homme d’une extrême froideur aux exploits retentissants. Homme d’armes aguerri, il est aussi doté d’une intelligence et d’une culture hors du commun. Pourtant, force est de constater qu’il semble être pénétré par un sentiment indéfinissable : il intrigue autant qu’il inquiète. D’ailleurs, pour souligner cette impression, il s’agit du seul personnage du roman à ne pas nous offrir lui-même son point de vue, n’étant de fait pas narrateur de cette histoire. Seuls nous sont livrés les sentiments d’Alfred et de Pauline à son égard, ce qui accentue la sombre impression qui émane de lui. Même si toute sa personnalité est tournée autour du concept du mal, Horace de Beuzeval n’en demeure pas moins un personnage complexe qui, en définitive, est presque aussi intéressant que Pauline. Il l’est en tout cas bien plus qu’Alfred, ce dernier étant une forme d’archétype chevaleresque prompt à sauver sa dulcinée et à braver toute forme de danger.


Tous ces personnages sont en fin de compte typique des écrits romantiques : mus par des passions amoureuses, ils ne peuvent que s’incliner face à leur destin tragique. Horace de Beuzeval lui aussi est habité par une passion qui le dévore et qui, d’une certaine façon, le fait sombrer. Ce sont tous ces aspects de ce livre qui rendent sa lecture incroyablement plaisante.


J’ai tout étudié, philosophie, droit et médecine ; j’ai fouillé dans le cœur des hommes, je suis descendu dans les entrailles de la terre, j’ai arraché à mon esprit les ailes de l’aigle pour planer au-dessus des nuages ; où m’a conduit cette longue étude ? au doute et au découragement. Je n’ai plus, il est vrai, ni illusion ni scrupule, je ne crains ni Dieu ni Satan ; mais j’ai payé ces avantages au prix de toutes les joies de la vie.

Bien plus qu’un simple roman machinalement répertorié comme un classique de par son auteur, Pauline renferme de véritables qualités littéraires qui valent qu’on s’y attarde et passe quelques heures à le lire. Sa construction est d’autant plus pertinente qu’elle permet de mêler aux points de vue de ses trois narrateurs une certaine forme de suspense et de dévoiler au compte-goutte les tenants et les aboutissants de cet amour impossible. Plus intéressante encore, c’est par l’entremise d’Alexandre, d’Alfred et de Pauline que nous est peint la personnalité d’un quatrième personnage aussi fascinant que dangereux : le comte Horace de Beuzeval. A la frontière du roman gothique, du roman sentimental et du roman noir, ce livre contraste curieusement avec les autres chef d’œuvres d’Alexandre Dumas. Si on retrouve le souffle romanesque typique de ses grands récits d’aventure, Pauline est, je crois, bien plus intimiste et mélancolique que ses autres romans majeurs. Le personnage de Pauline est en lui-même étrangement sombre : il s’agit d’une jeune femme pleine de désillusions quant à son mariage, et son amour naissant pour Alfred est, dès ses prémices, condamné. Poétique par bien des aspects, ce livre de Dumas renferme donc des personnages captivants portés par des passions typiquement romanesques et romantiques. De quoi plaire à bon nombre de lecteurs !


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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