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Longtemps je me suis couché de bonheur, Daniel Picouly (2020)

Malgré certaines lourdeurs, Picouly nous offre un roman d'une exigence et d'une originalité rare. Une véritable déclaration d'amour à la littérature.


 

Longtemps je me suis couché de bonheur, Daniel Picouly, Albin Michel, 2020


« Longtemps je me suis couché à plusieurs. Chez nous on est au moins deux par lit. Pas étonnant ma mère a eu treize enfants." Proust serait fier de moi. Sa première phrase "Longtemps je me suis couché de bonne heure" n’est pas à la hauteur.»


Orly, Cité Million, 1964. Un adolescent de quinze ans, pour l’amour d’une Albertine, plonge dans l’œuvre de Marcel Proust. Jusqu’à l’obsession. Autour de lui, se bousculent un Charlus égoutier, une Odette infirmière à domicile, une duchesse de Guermantes battant ses tapis à la fenêtre…. Rêve ou réalité, peu importe, quand il sera grand, il sera Proust.


Avec la verve et l’imagination qui ont fait le succès du Champ de personne, Daniel Picouly transpose l’univers de Marcel Proust dans sa banlieue d’Orly. Le récit profond et drôle d’une éducation sentimentale, hommage à l’école, à sa famille et à l’auteur de La Recherche. À tout ce qui a fait de lui l’écrivain qu’il est aujourd’hui.

 

Avec Longtemps je me suis couché de bonheur, Daniel Picouly dévoile toute sa passion pour la littérature et, surtout, pour Marcel Proust. Car en effet, ce livre, dont le titre n’est autre qu’un pastiche de l’incipit Du côté de chez Swann (1913), premier tome du roman À la recherche du temps perdu (« Longtemps, je me suis couché de bonne heure »), n’est rien d’autre qu’une tendre et émouvante déclaration d’amour à cet incroyable auteur.


“Salaud de Proust ! Il m’avait plagié d’avance. C’était exactement ce que je voulais écrire. Tout ça parce qu’il est né avant moi. Je hais le droit d’aînesse. Ce droit de vieux. D’accord, il m’a plagié en mieux. Mais je le maintiens : « La balle est faute ! ».”

Amour et passion pour la littérature, il en est question ici puisque, au-delà de cette fascination pour Proust, le narrateur lui-même a pour ambition de devenir écrivain. Il écrit donc et se retrouve souvent, sinon tout le temps confronté à Proust et à son roman indépassable. Ce récit est donc ici aussi une forme d’apprentissage, d’initiation à la littérature et à l’écriture, avec pour horizon, maître et inspiration, Proust et toujours Proust. Mais derrière cette obsession, se cache aussi l’écrivain Picouly, qui par le truchement de ce roman nous raconte le cheminement qui l’a poussé à devenir lui-même romancier.


Si ce roman est d’une tendresse remarquable, c’est parce que Picouly dépoussière Proust à travers le regard d’un adolescent amoureux. Le personnage principal est un jeune homme vivant en banlieue parisienne qui, curieusement, se met à lire La Recherche. Mais quel étrange comportement, n’est-ce pas ? Quelle drôle d’idée, tout de même, qu’un adolescent de 14 ans vienne à lire Proust, TOUT Proust, les plus de 3000 pages. Pourquoi diable fait-il ça ? Pour plaire à une fille évidemment !


“Je me plaque contre la porte. Est-ce la magie du capiton, mais je sens Albertine. On devrait toujours avoir une porte pour rêver derrière à une fille.”

Dès lors, une fois que Proust est rentré dans sa vie, il n’en sortira plus. Mais bien plus important encore, c’est toute sa vie qui devient, d’une certaine façon, proustienne. Cet amour, qu’il a croisé dans une librairie, s’appelle bien évidemment Albertine, personnage essentiel et l’une des jeunes filles en fleurs de Proust. La soirée pot-au-feu, passage ô combien mémorable de ce roman, est également l’une des nombreuses références à La Recherche. Plus fascinant encore, ce sont tous les personnages de Picouly qui vivent, d’une façon ou d’une autre avec et pour Proust. De ce fait, ils en deviennent haut en couleur, presque loufoques. Et mention toute particulière aux enseignants qu’il dépeint, non sans dérision et affection, et qui transpirent l’expérience que Picouly a lui-même engrangé quand il était professeur. Bref, les enseignants, les parents, et même les amis du narrateur sont tous amenés à évoquer son œuvre et, d’une certaine manière, sont à lire sous le prisme de Proust. Mais pas uniquement.


Si Daniel Picouly amène l’univers de Proust dans la banlieue parisienne au début des années 1960, c’est parce qu’il y a lui-même grandi. Et c’est sans doute ici que réside le grand tour de force de Picouly : il arrive à enchevêtrer d’une manière remarquablement efficace et poétique l’univers proustien à son propre vécu. La réalité de son enfance et de son adolescence est désormais teintée de Proust, et le flou que cela engendre quant à ce qui relève ou non de la fiction est le bienvenue. C’est sans doute pour cette raison qu’à chacune des pages, on sent une grande affection de Picouly pour ses personnages, mais également sans doute un brin de nostalgie.


Fais attention, tu ne seras jamais un vrai écrivain si tu ne vérifies pas tes sources. Taquin l’a dit : « Chez les lecteurs, il y en a toujours un qui sait. Et c’est le pire.»

Néanmoins, si le premier tiers du livre est diablement agréable à lire, embrasé par la plume de Picouly, par sa poésie, son humour et sa fougue presque adolescente, à l’image du narrateur, c’est précisément cet aspect qui vient à s'essouffler par la suite. Passées les cent premières pages, toutes ces références à Proust deviennent pesantes et encombrantes. Son écriture également se fait parfois, et je dis bien parfois, déplaisante, presque envahissante. A l’image d’un adolescent, Picouly en fait occasionnellement trop. Et même lors du dernier tiers du roman, lorsque on assiste à une véritable rupture de rythme, qui devient de ce fait plus endiablé et plus enlevé, le mal est fait ; on est parfois décroché. En définitive, le mérite et tout le talent de Picouly résident dans la cohérence de son roman, d’une exigence et d’une originalité rare.


“Et si les filles ne portaient à la main des livres que pour faire écrire des histoires aux garçons?”

Malgré des lourdeurs stylistiques et des références proustiennes parfois étouffantes, en particulier dans le second tiers du livre, Picouly nous livre ici une véritable déclaration d’amour à Proust et à la littérature. Il rend hommage de la plus belle des manières à cet incroyable auteur français en mêlant subtilement l’univers de La Recherche à sa jeunesse en banlieue parisienne. A l’image de son narrateur, jeune adolescent follement amoureux d’Albertine, ce roman a les vertus et les défauts qui vont avec l’adolescence : tantôt drôle, tantôt horripilant, souvent fougueux mais parfois excessif. Picouly, par sa verve, sa passion, mais également sa poésie et sa tendresse, nous offre finalement un roman d’une exigence et d’une originalité rare.


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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