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La route - Cormac McCarthy (2006)

Un roman post-apocalyptique aussi bouleversant que profondément troublant. Une vrai réflexion sur l'existence et la condition humaine.


Un roman post-apocalyptique profondément dérangeant mais ô combien fascinant
 

La route, Cormac McCarthy, Éditions Points, 2023 (2006)

L’apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d’objets hétéroclites. Dans la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers les côtes du Sud, la peur au ventre : des hordes de sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l’humanité. Survivront-ils à leur voyage ?


Né en 1933 dans l’État du Rhode Island, Cormac McCarthy, auteur de nombreux romans plusieurs fois primés, est l’un des écrivains américains les plus importants de sa génération, il est notamment l’auteur de No Country for Old Men, adapté au cinéma par les frères Coen. Il décède en 2023 au Nouveau-Mexique. Tous ses livres sont disponibles chez Points.


Traduit de l’anglais (États-Unis) par François Hirsch

 

Cormac McCarthy (1933 - 2023) nous a quitté récemment à l’âge de 89 ans. Peut-être n’a-t-il pas eu les honneurs qu’il méritait tant il a marqué la littérature américaine de son empreinte. Si son premier roman a été publié en 1965, Le Gardien du verger, suivi d’autres romans particulièrement salués par la presse, sa notoriété n’aura de cesse de grandir suite notamment à sa Trilogie des confins : De si jolis chevaux en 1992 qui lui valu le célèbre National Book Award, Le Grand Passage (1994) et Des villes dans la plaine (1998). Au début de sa carrière, son oeuvre faisait partie du Southern Gothic, un genre littéraire américain (mais aussi cinématographique et musical) dont William Faulkner était l’un des fers de lance, et qui se caractérise par des éléments propres au Sud des Etats-Unis : l’immensité des paysages, la violence et la pauvreté, une atmosphère sombre et lugubre. Il s’en détacha peu à peu, s’essayant par exemple au western en 2005 avec Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme (adapté de manière remarquable par les frères Coen, No country for Old Men, pour ceux que cela intéresse) et, en ce qui nous concerne ici, au genre post-apocalyptique avec La Route, paru en 2006.


Puis ils repartirent le long du macadam dans la lumière couleur métal de fusil, pataugeant dans la cendre, chacun tout l’univers de l’autre.

Si les récompenses (littéraires mais pas que) sont parfois à prendre avec des pincettes, le prix Pulitzer que ce livre a reçu en 2007 représente néanmoins un bel indicateur tant ce roman est magistral. L’histoire a beau se résumer en quelques lignes - un père et son fils tentant de survivre dans un monde ravagé par le froid et les cendres suite à de terribles incendies, dans lequel les quelques êtres humains restants se battent pour le peu de nourriture qu’il reste -, elle n’en reste pas moins profondément saisissante et émouvante. Retour dans cette chronique sur un livre magnifique, chef d'œuvre du roman post-apocalyptique, et bien plus encore.


Un livre dépouillé et minimaliste


Ce qui impressionne le plus, peut-être, dans ce livre, c’est avant tout son style. L’écriture y est ciselée, presque languissante, dépouillée de tout superflu. Avec ce minimalisme particulièrement maîtrisé, l’auteur nous offre une lecture bouleversante, dérangeante, qui prend aux tripes pour ne jamais nous lâcher. Les phrases se succèdent à l’image des nombreux pas de ses deux personnages, comme une fuite en avant permanente. Les jours se suivent et se ressemblent. Il pleut, il fait froid, des cendres partout. La peur et le silence rôdent à chaque ligne, à chaque page, presque ad nauseam, créant de fait une ambiance à la fois lourde et terriblement saisissante.


Sur cette route il n’y a pas d’hommes du Verbe. Ils sont partis et m’ont laissé seul. Ils ont emporté le monde avec eux. Question : Quelle différence y a-t-il entre ne sera jamais et n’a jamais été ?

Cormac McCarthy plonge le lecteur dès les premières lignes dans un monde dévasté où ne règne que la noirceur d’une planète brûlée et celle d’une humanité à jamais perdue. A l’image de ce monde réduit en cendres, où respirer devient difficile, voire même dangereux, le lecteur suffoque lui aussi, pris dans un récit sans espoir, dans lequel la vie n’est réduite qu’à son austérité la plus primitive.


Quant aux deux personnages principaux, eux aussi, sont réduits au seul et unique lien qu’il ne peut que subsister en de pareilles circonstances : leur lien filial. Aux yeux du lecteur, et peut-être même à travers leurs yeux eux-mêmes, ils ne sont que père et fils, « l’homme » et « l’enfant ». Aucun nom, aucun passé ou presque. Seuls quelques souvenirs du père surgissent ça et là, au fil des pages. Les dialogues, épurés, rythment le peu d’interactions que ces deux êtres humains entretiennent durant leur périple.


Une apocalypse qui fait écho à notre modernité


De ce qui a consumé le monde, l’auteur ne nous dit rien. Sur cette apocalypse qui a réduit le monde en cendres, qui a quasiment fait disparaître le soleil, qui a fait advenir un froid éternel, pas un mot. Çà et là, entre deux rares souvenirs, l’homme se remémore les premiers instants lors desquels le monde s’est embrasé. Mis à part ces quelques réminiscences, rien, absolument rien.


Un seul constat : la planète y est devenue inhabitable ou presque. Le soleil s’est évanoui, la faune elle aussi s’est volatilisée. Seul un chien errant, au détour d’une page, vient rappeler aux personnages (et au lecteur totalement happé par ce livre, peut-être) ce que pouvaient être les animaux. La neige et la pluie sont partout, l’eau y est saumâtre, dénaturée par les cendres.


À l’heure où le dérèglement climatique n’est plus un débat, où le constat est de plus en plus alarmant, comment ne pas songer ici à l’avenir de notre planète à ce qu’il adviendra de l’humanité dans quelques décennies ?


Tu peux me considérer comme une garce infidèle si ça te fait plaisir. J’ai pris un nouvel amant. Il peut me donner ce que tu ne peux pas. La mort n’est pas un amant. Oh bien sûr que si.

Un roman à la fois métaphorique et métaphysique


Mais ce livre est bien plus qu’un grand roman post-apocalyptique. Cette quête du père et de son enfant, c’est celle d’une humanité qui s’est évaporée au moment même où la catastrophe est advenue. Le peu d’être humains encore en vie errent désormais sans but, ne vivant que pour manger et boire, réduits à leurs plus bas instincts. Les quelques hommes croisés par-delà les routes sont devenus violents et cannibales. Des charniers jonchent les villes traversées, des os humains apparaissent de part et d’autre des routes. Même le verbe et la parole du père et de son enfant semblent être réduits au maximum. Comme si l’humanité s’était recroquevillée, rétrécit jusqu’à être totalement dépouillée de toute profondeur, de toute richesse.


La Route n’est pas sans évoquer également le fameux mythe de Sisyphe. Tel ce personnage de la mythologie grecque ayant bravé la mort et contraint à pousser éternellement une pierre au sommet d’une montagne, pierre qui redescend une fois arrivée en haut, encore et encore, les deux personnages errent sans but. Sans s’arrêter de marcher ou presque, ils partent en quête d’un hypothétique sud plus clément, et doivent jour après jour trouver de quoi manger. A jamais piégés dans cette boucle infernale pour avoir eu le malheur de survivre.


Au fond, par sa simplicité autant que par son propos, ce livre est une formidable métaphore de la condition humaine. Très sombre, mais pas totalement, il ramène le lecteur aux questions fondamentales qui taraudent chacun à travers son existence. Sans en apporter de réponses, Cormac McCarthy propose ici un roman bouleversant qui continuera à hanter longtemps ses lecteurs. Aussi désespérant que profondément troublant.


Il n’y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes.

La route de Cormac McCarthy est sans nul doute un roman profondément troublant. Et on ne peut sortir de sa lecture totalement indemne. Son style minimaliste, épuré à l’extrême, impose un rythme languissant, presque désespéré. Ses deux personnages, impersonnels, ne sont réduits qu’à leur lien de filiation : « l’homme » et « l’enfant ». Aucun prénom, aucun nom. Tel le mythe de Sisyphe, ils sont contraints d’avancer, encore et encore, le long de la route, cherchant tous les jours de quoi se cacher et manger. Les jours se suivent et se ressemblent dans un monde dévasté par une catastrophe inconnue. Leur monde est réduit en cendres, dévoré par le froid, la pluie et la neige. Et les quelques êtres humains encore vivants errent eux aussi hagards quand ils ne sont pas rongés par la violence. Pourtant si tout y est sombre, poisseux, d’une tristesse inimaginable, leur volonté de rester en vie les poussent à toujours avancer. L’espoir leur permet de rester debout. A la fois métaphorique et métaphysique, ce roman post-apocalyptique est une formidable réflexion sur la condition humaine dans ce qu’elle a de plus fondamental. L’existence humaine y est réduite à son aspect le plus rudimentaire ce qui, paradoxalement, la rend peut-être plus intense aux yeux du lecteur qui referme ses pages, si ce n’est bouleversé, au moins peut-être touché par l’histoire de ces deux personnages. Un très grand roman.


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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