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La Panthère des neiges, Sylvain Tesson (2019)

Un récit de voyage qui nous emmène au cœur du Tibet en compagnie des réflexions de l'auteur. Magnifique et pourtant décevant.


Partir à la recherche d'une espèce particulièrement rare
 

La Panthère des neiges, Sylvain Tesson, Gallimard, 2019

«– Tesson ! Je poursuis une bête depuis six ans, dit Munier. Elle se cache sur les plateaux du Tibet. J'y retourne cet hiver, je t'emmène.

– Qui est-ce ?

– La panthère des neiges. Une ombre magique !

– Je pensais qu'elle avait disparu, dis-je.

– C'est ce qu'elle fait croire.»

 

Sylvain Tesson, l’écrivain-voyageur des grands espaces, nous offre ici le journal de l’un de ses derniers périples en plein cœur du Tibet, sur le plateau du Changtang. Parti en compagnie du photographe animalier Vincent Munier, de sa compagne Marie Amiguet et de leur assistant Léo-Pol Jacquot, ils vont essayer d’apercevoir une espèce animale particulièrement secrète et difficile à approcher : la panthère des neiges. Ce récit de voyage qui recevra le prix Renaudot 2019 est, de ce que j’ai pu lire sur lui, à l’image de ce que propose Sylvain Tesson depuis ses débuts : entre aphorismes, réflexions et méditations, l’auteur nous partage ses aventures et les pensées qui les accompagnent.


Jusqu’alors, j’avais couru de la Yakoutie à la Seine-et-Oise, obéissant à trois principes : L’imprévu ne venant jamais à soi, il faut le traquer partout. Le mouvement féconde l’inspiration. L’ennui court moins vite qu’un homme pressé.

Je le confesse volontiers, il s’agit ici du premier livre de Sylvain Tesson que j’ai entre les mains. J’avais beau avoir visionné quelques interviews et certaines émissions dans lesquelles il était invité, je n’avais jamais osé ouvrir l’un de ses récits. Pourtant, son personnage atypique et la place si particulière qu’il occupe dans le paysage littéraire français auraient dû m’inviter à le lire plus tôt. Je n’avais pas véritablement pris le temps de me plonger dans son œuvre, les récits de voyage ne représentant pas véritablement le genre littéraire qui m’attire le plus, sans doute plus par ignorance du genre que par réel désintérêt. On a tous notre zone de confort après tout.


L’idée que je m’étais faite de lui et de ses écrits était pourtant si attirante, un voyageur qui met par écrit ses aventures est à mes yeux forcément intéressant. Le voyage, la découverte de nouveaux horizons, les rencontres, l’authenticité qui en découle, tout cela ajoute une réelle valeur ajoutée à son récit. Et puis, en tant que lecteur, voyager par procuration ne doit jamais être déprécier : n’est-ce pas ce qu’on recherche lorsqu’on ouvre un livre ? Sans l’idéaliser pour autant, je pensais que ses récits étaient nécessairement d’une grande qualité, particulièrement lorsque son auteur est globalement excellemment reçu tant par la critique que par les lecteurs. C’est donc, et je le concède sans hésitation, avec un a priori plutôt positif que j’ai donc franchi le pas et parcouru le livre qui avait tant fait parlé de lui l’année dernière. Or, il s’avère qu’après l’avoir refermé, j’ai assez vite déchanté.


Je venais de le comprendre : le jardin de l’homme est peuplé de présence. Elles ne nous veulent pas de mal, mais elles nous tiennent à l’œil.

Abordons d’abord ce qui m’a réellement plus dans ce livre. Sylvain Tesson a indéniablement une érudition remarquable et un goût prononcé pour les mots et les aphorismes, ces phrases en apparence simples mais qui en disent bien plus. On ne peut être qu’admiratif face à la facilité avec laquelle il nous livre ses pensées, ses méditations ai-je dit en préambule. Car oui, les circonstances dans lesquelles est effectué ce voyage sont relativement propices aux méditations. Partis à la rencontre de la panthère des neiges, Sylvain Tesson et ses comparses sont contraints de rester immobiles pendant des heures, dans un silence absolu, à guetter l’apparition de cet animal si rare. L’art de l'affût est donc de ce fait indéniablement et avant tout une rencontre avec soi-même, rencontre qui prend des allures de méditation ou de réflexion lorsqu’on est écrivain.


Les descriptions de ces grands espaces, et c’est, me semble-t-il, le talent de Sylvain Tesson, sont profondément bluffantes, d’une puissance évocatrice à couper le souffle. On s’y croirait. Nous, modestes lecteurs, qui n’avons pas eu cette chance unique de faire ce voyage, pouvons compter sur la magnifique plume de l’auteur pour nous amener à ses côtés dans ces paysages remarquables, dépourvus ou presque de toute présence humaine. L’heure étant aujourd’hui à un retour à la nature, n’est-ce pas, à une redécouverte des beautés et des joies qu’elle renferme, on ne peut que se féliciter d’avoir un écrivain de la trempe de Sylvain Tesson pour nous y plonger. Ici, il s’agit de découvrir avec l’auteur un animal dont la survie réside dans l’absence humaine. Les réflexions qu’il en fait sur la condition animale, et plus généralement sur la nature, sont parfois pertinentes.


Le monde reculait ; la vie se retirait, les dieux se cachaient. La race humaine se portait bien. Elle bâtissait les conditions de son enfer.

Cependant, et c’est précisément sur cet aspect là que je mets mon bémol, évidemment subjectif, ses remarques paraissent souvent d’une extrême lourdeur : l’antimodernisme et la misanthropie qui transpirent de nombreuses de ses réflexions, si elles peuvent parfois être légitimes et appropriées, deviennent au fil des pages soit ennuyantes, soit irritantes. On l’aura compris, Sylvain Tesson n’aime pas notre société, notre mode de vie qui, de toute façon, sont évidemment à bien des égards critiquables. Pour y échapper, il voyage, erre de par le monde à la découverte d’une nature qu’il n’a pas la prétention d’’idéaliser pour autant. Certes, et il le note à juste titre, cette dernière est loin d’être morale, et représente, pour lui qui est avant tout un solitaire, une sorte de refuge, un bulle d’isolement.


Mais plus que de vouloir fuir notre monde, il me semble qu’il cherche plutôt à fuir les hommes de manière générale. Ses compagnons de route sont ici relégués au second plan (voire encore plus loin) et, finalement, ne restent dans ce récit que Sylvain Tesson et la nature, les paysages et les “bêtes” qui les peuplent. Le “Je” prend ici une place considérable. Les aphorismes qui, au début de ce livre, étaient bienvenus et franchement intéressants, en viennent à dévoiler une certaine forme de prétention et de moralisme qui, je l’avoue, m’ont particulièrement dérangés. Après tout, peut-être était-ce parce que d’une certaine manière le lecteur que je suis, qui adhère volontairement ou involontairement au monde que l’auteur semble abhorrer, pouvait ainsi se sentir pointé du doigt par ses critiques. Mais le ton parfois moraliste qu’il emploie, le mépris dont il fait preuve par endroits, me paraissent disproportionnés, surtout lorsque d’une certaine manière, l’auteur sait tirer profit de certains des aspects de notre société qu’il décrit tant.


Hier, l’homme apparut, champignon à foyer multiple. Son cortex lui donna une disposition inédite : porter au plus haut degré la capacité de détruire ce qui n’était pas lui-même tout en se lamentant d’en être capable. A la douleur, s’ajoutait la lucidité. L’horreur parfaite.

Ce discours moraliste anti-humain et pro-nature qui, dans nombre de cas, est tout à fait justifié, résonne ici, me semble-t-il, comme superflu et m'a profondément agacé. Peut-être est-ce parce qu’il est désormais bien trop répandu et qu’il noie les voix singulières qui le portent, à l’image de celle de Sylvain Tesson. Toujours est-il que les aphorismes qui le véhiculent dans ce livre m’ont paru relever d’une banalité déconcertante, d’une redondance décevante pour un écrivain tel que Sylvain Tesson. Néanmoins, et je voudrais insister pour finir là-dessus, je ne ferme en aucune manière la porte à la lecture d’autres titres de cet auteur atypique qui présente, par de nombreux aspects, des qualités dont un lecteur ne doit pas se priver, quand bien même certains des passages (peu en réalité) qu’il lit l’irrite profondément. C’est donc avec plaisir, il est vrai, que je me replongerai dans un autre des voyages de cet écrivain.


« L’homme est la gueule de bois de Dieu ! » disais-je. Elle n’aimait pas ces formules. Elle m’accusait de lancer des pétards mouillés.

Sylvain Tesson est donc un écrivain des grands espaces, et sait, par le biais de sa plume et de ses réflexions, replacer légitimement l’homme dans la nature, chose que l’on a peut-être bien souvent oublié. La beauté qui se dégage de ce livre est proprement remarquable, et certains de ses aphorismes méritent d’être lus et médités. A la lecture de ce récit de voyage, on a envie de partir à ses côtés à la découverte de paysages éblouissants et d’espèces animales mystérieuses. Malheureusement on a le sentiment, à travers certaines réflexions de l’auteur, qu’on n’est et ne sera jamais véritablement convié. Force a été de constater que, pour moi, l’antimodernisme et la misanthropie manifeste qui transparaissent de ces pages ont gâché la lecture de ce récit. Ce discours moraliste anti-humain et pro-nature qui, dans nombre de cas, est tout à fait justifié, résonne ici, me semble-t-il, comme superflu et m'a profondément agacé. Peut-être est-ce parce qu’il est désormais bien trop répandu et qu’il noie les voix singulières qui le portent, à l’image de celle de Sylvain Tesson. Dommage.


En voyage, toujours emmener un philosophe avec soi.

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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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