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  • Photo du rédacteurMax

La Goûteuse d'Hitler, Rosella Postorino (2019)

Un roman qui nous plonge aux côtés de Rosa, une jeune femme prise de force dans un projet politique dévastateur qui la dépasse.


 

La Goûteuse d'Hitler, Rosella Postorino, Le livre de Poche (2020)

1943. Reclus dans son quartier général en Prusse orientale, terrorisée à l'idée que l'on attente à sa vie, Hitler a fait recruter des goûteuses. Parmi elles, Rosa. Quand les S.S. lui ordonnent de porter une cuillerée à sa bouche, Rosa s'exécute, la peur au ventre : chaque bouchée est peut-être la dernière. Mais elle doit affronter une autre guerre entre les murs de ce réfectoire : considérée comme « l'étrangère », Rosa, qui vient de Berlin, est en butte à l'hostilité des autres goûteuses. Pourtant, la réalité est la même pour toutes : consentir à leur rôle, c'est à la fois vouloir survivre et accepter l'idée de mourir.

Inspiré de l'histoire vraie de Margot Wölk, La Goûteuse d’Hitler a été couronné en Italie par le prestigieux prix Campiello.

 

Rosella Postorino, éditrice et romancière italienne, a été stupéfaite à la lecture d’un article de presse qui revenait sur le passé énigmatique d’une vieille dame allemande de 96 ans : Margot Wölk. Qu’avait donc l’histoire de cette femme de si fascinant pour qu’une écrivaine décide d’en faire un roman, roman qui, d'ailleurs, aura un succès international énorme, et particulièrement en France ?


Si ce livre envoûte autant, c’est parce qu’il revient sur la période la plus dévastatrice du XXème siècle, le nazisme et donc la Seconde Guerre Mondiale, à travers les yeux d’une femme, chose relativement singulière s’il en est. Mais surtout, c’est à cause du rôle incroyable que cette jeune femme à l’époque, renommée Rosa dans le livre, a eu à ses dépends : tout comme neuf autres femmes, elle a été Goûteuse d’Hitler pendant près de deux ans, de 1943 à 1945. En quoi consistait sa tâche ? Comme son titre l’indique, goûter, trois fois par jour, tous les plats qu’allait manger Hitler. De quoi nous plonger dans la grande Histoire à travers un point de vue singulier et sous un angle qui, me semble-t-il, n’avait jamais véritablement été développé jusqu'ici.


“Nous avons vécu douze ans sous une dictature, presque sans nous en apercevoir. Qu’est-ce qui permet à des êtres humains de vivre sous une dictature ?”

Son mari parti au combat, Rosa se retrouve à vivre chez ses beaux-parents dans un petit village près de la “Tanière du loup”, le quartier général d’Hitler situé alors en Prusse orientale, l’actuelle Pologne. Alors qu’elle ne connaît personne, elle qui vivait jusque-là à Berlin, Rosa se voit obligée de devenir goûteuse des repas du Führer en compagnie de neuf autres femmes originaires, elles, du village. C’est donc avec la peur au ventre, imaginant à chacune de ses bouchées avoir été empoisonnée et ne sachant pas si elle serait vivante le soir, qu’elle doit tous les jours grimper dans le bus qui l'emmène dans la Tanière. A cette peur vient s’ajouter la méfiance et le mépris des autres femmes à son égard, elle qui sera appelée la “Berlinoise”.


C’est ainsi que ces goûteuses vivent dans un cocon où toutes les affres de la guerre, l’actualité ravageuse des combats, n’auront finalement que peu d’emprise sur elles. Les victoires des forces allemandes sur les Alliés comme leurs défaites n’affecteront presque jamais leur quotidien. Car ces femmes ont une autre guerre à mener : celle de survivre à chacun des plats qu’elles sont obligées d’ingurgiter pour protéger Hitler. Et c’est sans doute ici que réside la grande force de ce livre : la romancière arrive à nous happer dans une atmosphère oppressante, hostile, de violence sourde, l’angoisse qui étrille à chaque repas toutes ces femmes, le confinement et finalement la soumission. Et c’est une véritable réussite...


Du moins, dans la première partie du livre. Car à cette atmosphère plus que pesante et mortifère vient se substituer une sorte de torpeur qui engourdit tout : Rosa, les autres protagonistes, l’écriture qui pourtant jusque-là était plutôt juste, et même le lecteur.


“D’ailleurs l’amour survient entre inconnus, entre étrangers impatients de violer la frontière. Il survient entre deux personnes qui se font peur. Ce n’est pas aux secrets que cet amour n’a pas survécu, mais à la chute du Troisième Reich.”

Il me semble que cette disparition de rythme et l’apparition d’une forme d’ennui tiennent au fait de l’apparition d’une sous-intrigue qui finit par prendre une place considérable dans l’ensemble du roman : la romance entre Rosa et le lieutenant SS Ziegler. Si cette histoire d’amour semble de prime abord parfaitement cohérente étant donné la situation de Rosa (la solitude, le manque de tendresse et de contact physique peuvent pousser n’importe qui à jouer avec le feu), qu’elle en vienne à développer une sorte de syndrome de Stockholm pour son geôlier paraît assez peu crédible, presque invraisemblable. En témoignent certaines scènes où le jeune lieutenant passe la nuit à attendre Rosa caché près de la maison de ses beaux-parents…


Toujours est-il que cette intrigue finit par tourner en rond et malheureusement devenir le cœur du livre. Il faudra attendre l’attentat raté de von Stauffenberg, qui fera exploser la bulle de solitude et de peur dans laquelle se trouvaient les goûteuses, pour redonner du rythme au récit et surtout, ranimer l’intérêt du lecteur. La dernière partie du livre devient de ce fait beaucoup plus plaisante à lire et permet de se raccrocher à l’enjeu principal du roman, à savoir le destin extraordinaire de Rosa en tant que goûteuse d’Hitler.


“Sur cette table, Leni avait perdu sa virginité. Où est le mal, a dû penser Ernst. Leni avait l’air consentante, je te jure. Nous avions tous l’air consentants en Allemagne.”

Finalement, ce livre est avant tout le portrait d’une femme seule en plein nazisme. Son mari est quelque part sur le front, vivant ou mort, elle réside chez des beaux-parents qu’elle connaît à peine, sans véritable amies ou presque (les liens qu’elle arrivera à nouer avec certaines autres goûteuses pourraient tout de même s’en rapprocher), bref, ce qui ressort, me semble-t-il, de Rosa, c’est sa grande solitude. Il s’agit d’une femme qui est psychologiquement sur le fil, qui est constamment à la limite de la rupture, ne pouvant se confier à personne. Et c’est de cette solitude-là que naît toute la force de son personnage.


En ce sens, Rosa est emblématique de quelque chose d’ordinaire en cette période : l’acceptation et la résignation. Elle finit par accepter son rôle, à consentir à sa mission de goûteuse, et donc, indirectement de protection de Hitler. Même si la peinture de la société allemande à cette époque qui est en faite dans ce livre montre que tous n’adhéraient pas aux thèses nazies, la grande majorité vivaient sous la contrainte et la peur. Il ne s’agit plus de devenir un héros en s’opposant courageusement au régime, mais simplement de survivre. De ce fait, en voulant simplement survivre, on devient docile, on finit par rentrer dans le rang et, d’une certaine manière, on se rend, si ce n’est coupable, du moins responsable. Rosa est ainsi un symbole de cette soumission forcée : la honte et la culpabilité sont palpables, ses espoirs se brisent un à un, et la frontière entre bourreau et victime est de plus en plus floue. Rosa reflète donc toute l’ambiguïté de sa position, mais également celle du peuple allemand.


“La capacité d’adaptation est la principale ressource des êtres humains, mais plus je m’adaptais, moins je me sentais humaine.”

Ce livre nous présente ainsi la condition incroyable d’une femme qui devient goûteuse d’Hitler contre sa volonté. Si l’intrigue principale concernant son rôle de goûteuse est vraiment intéressante, en revanche, ce roman tombe rapidement dans une romance relativement peu crédible, et, il faut bien le dire, assez ennuyeuse. Peu à peu, au fil des pages, une forme de torpeur s’empare de Rosa, minée par la solitude et la peur, torpeur qui finit par se développer aussi chez le lecteur. Pour retrouver la force de ce point de vue original sur l’Histoire, il faut attendre le dernier tiers du livre dans lequel le destin de Rosa se confronte violemment à la réalité historique et lors duquel cette torpeur finit par disparaître. En définitive, tout l’intérêt du livre repose sur Rosa et sur ce qu’elle représente. En effet, La Goûteuse d’Hitler est avant tout le portrait d’une femme allemande confrontée au nazisme. A travers elle, c’est toute l’ordinarité de l’acceptation et de la résignation d’une population soumise au nazisme qui n’est jamais bien loin du sentiment de responsabilité et de culpabilité. Bref, bien qu'inégal, ce roman évite tout moralisme et nous fait redécouvrir un pan de l’histoire à travers le point de vue original de Rosa, une jeune femme prise de force dans un projet politique dévastateur qui la dépasse.


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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