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Photo du rédacteurMax

La commode aux tiroirs de couleurs - Olivia Ruiz (2020)


Un premier roman, qui mêle pudeur espiègle et douce poésie, à l'image de celle qui s'est faite remarquée dans la chanson française.


Un ivre à la fois émouvant et poétique.
 

La commode aux tiroirs de couleurs, Olivia Ruiz, JC Lattès, 2020

À la mort de sa grand-mère, une jeune femme hérite de l’intrigante commode qui a nourri tous ses fantasmes de petite fille. Le temps d’une nuit, elle va ouvrir ses dix tiroirs et dérouler le fil de la vie de Rita, son Abuela, dévoilant les secrets qui ont scellé le destin de quatre générations de femmes indomptables, entre Espagne et France, de la dictature franquiste à nos jours.

La commode aux tiroirs de couleurs signe l’entrée en littérature d’Olivia Ruiz, conteuse hors pair, qui entremêle tragédies familiales et tourments de l’Histoire pour nous offrir une fresque romanesque flamboyante sur l’exil.

 

Après Olivia Ruiz chanteuse (on se souvient encore du succès de La Femme chocolat), Olivia Ruiz actrice (aux apparitions télévisuelles et cinématographiques beaucoup plus confidentielles), voici Olivia Ruiz écrivaine. Car avec La commode aux tiroirs de couleurs, Olivia Ruiz s’immisce pour la première fois dans l’univers de la littérature. Autant dire que son incursion dans ce champ artistique, nouveau pour elle, a été assez remarquée tant les retours critique et public ont dans l’ensemble salué ce premier roman. Et pour cause : à l’image de ce qu’elle a pu nous proposer par le passé à travers ses chansons, elle nous offre ici un livre d’une grande générosité, d’une délicatesse remarquable. Surtout, il est porteur d’une voix singulière et l’expression d’une personnalité qui l’est tout autant.


Si je parle d’emblée de sa personnalité, c’est parce qu’on sent, au fil des pages, que ce livre a été pour son autrice l’occasion d’évoquer son histoire personnelle. Même s’il n’est pas à proprement dit autobiographique, on ressent toute la personne d’Olivia Ruiz qui se cache au détours des lignes, des paragraphes et des chapitres. Telle une ombre, elle plane au-dessus de ce livre et le recouvre de tout le poids de son expérience personnelle et familiale. Par l’entremise du roman, elle choisit de parler d’elle sous un angle particulièrement original où une commode héritée de sa grand-mère va révéler à la narratrice toute l’histoire de sa famille. Les tiroirs renferment des souvenirs et des objets ayant appartenu à sa grand-mère et qui, chacun à leur manière, lèvent le voile sur une période de cette histoire familiale particulièrement mouvementée. Mais surtout une lettre, émouvante et touchante, d’une grand-mère à sa petite-fille.


A nous deux maintenant Abuela. Surprends-moi. Encore.

C’est pour cela, évidemment, que ce roman, court en réalité, traite de sujets qu’Olivia Ruiz connaît. D’abord, il y a évidemment celui de l’exil, où l’Histoire façonne parfois douloureusement les histoires et les destins de milliers de personnes, qui ne peuvent que subir sa mécanique implacable et fuir quand cela est encore possible. Ici, il s’agit de l’exil de nombreux républicains espagnols qui, lors de la guerre civile de la fin des années 1930, ont été contraints de fuir leur pays d’origine pour venir s’installer, le plus souvent sans rien, dans le Sud-Ouest de la France. Les années qui suivirent la mise en place du régime autoritaire de Franco, la résistance s’est organisée et la frontière franco-espagnole devint un théâtre de résistance.


C’est cette histoire qu’a choisi subtilement d’évoquer Olivia Ruiz. Subtilement, parce que ce roman n’a aucunement la prétention de se transformer en manuel d’histoire, de nous apprendre mille et une anecdotes sur une période que l’on connaît très mal. Tout juste nous rappelle-t-il que des camps d’internement avaient été dressés pour accueillir tous ces migrants espagnols. Non, ici, l’Histoire n’est qu’un cadre dans lequel des individualités, à savoir trois sœurs, se démènent pour survivre. Mais pas d'apitoiement non plus : ce qui se dégage de cette grand-mère, c’est avant tout son caractère incroyablement combattant qui a su faire face à tous les coups du sort que la vie lui a réservés.


Parce que je sais que se construire avec une histoire, même riche de blessures autant que de joies, d’épreuves surmontées comme de miracles accueillis, c’est une chance.

On le voit, le personnage principal de ce roman est d’abord et avant tout une grand-mère à l’incroyable résilience. Une grand-mère, certes, mais surtout une femme. Car ce livre est aussi le portrait d’une femme qui a aimé, souffert, pleuré mais qui a su à chaque fois se relever et avancer. Une femme qui a été tour à tour soeur, amante, veuve, maman, patrone, et finalement grand-mère. Une femme qui a été tout cela et plus encore. On ne peut que s’attacher à celle qui s’est envers et contre tout battu pour sa famille, ses familles même d’une certaine manière : celle avec qui elle est venue en France, celle qu’elle a trouvé en s’y installant, et celle qu’elle a choisi de construire. Bref, toutes ces familles qui n’en sont en réalité qu’une et qu’elle lègue à sa petite-fille.


Peut-être que ce qui restera de ce livre sera en définitive le portrait de femmes aussi touchantes qu’impétueuses et celui d’une famille meurtrie par les aléas d’une vie qui ne les aura pas épargnées. Chacune à leur manière, elles auront réussi à construire quelque chose de beau, de solide, et auront avant tout pu profiter d’une liberté qui aura été le fil conducteur de cette famille. D’une génération à une autre, c’est cette liberté que ces femmes se transmettent, et c’est cette commode qui en est devenue le garant. A l’image de l’arc-en-ciel et de ses couleurs, c’est ce modeste meuble, le socle d’une famille unie, qui, après toutes les embûches que la vie a semé devant elle, annoncera les beaux jours prochains. Résilience, liberté et espoir sont donc les maîtres mots de cette famille.


Je veux que ces femmes si différentes, si vivantes, si complexes qui composent ton arbre généalogique puissent t’inspirer et t’aider à savoir qui tu es, le fruit de quels voyages et de quelles passions.

En définitive, on ne peut être que touché par la grande générosité et la belle délicatesse qui parcourent ces pages. Une spontanéité authentique et une pudeur espiègle s’en dégagent. Tout du long, on sent l’affection particulière qu’Olivia Ruiz a développé pour ses personnages et, par ricochet, celle qu’elle a pour sa famille. Néanmoins, ce faisant, les beaux sentiments qui transpirent de ce livre sont parfois un peu trop appuyés - spécificité d’un premier roman sans doute. La lecture en reste agréable mais il m’a semblé que la naïveté chaleureuse qu’Olivia Ruiz a utilisé pour écrire ce livre se transforme de temps en temps en gentille mièvrerie. Un exemple : “Un vent de fou a pris possession de la ville. Ou alors c’est l’effet de ma main dans la sienne qui déchaîne les éléments”. Le rythme est peut-être aussi un peu trop monotone et uniforme, mais qu’importe, il s’agit quand même d’un roman sincère qui se laisse apprécier sans trop de difficultés.


Avec ce premier roman, Olivia Ruiz fait ses débuts dans le paysage littéraire français. En s’appuyant sur son vécu, elle nous offre un livre tout en sincérité et délicatesse. Malgré les tragédies et les difficultés qui ont marqué l’histoire personnelle de cette grand-mère, Rita, on en vient à admirer son caractère impétueux qui lui a permis de traverser ces épreuves avec, à chaque fois, une immense résilience et une soif de liberté admirable. Avec les thématiques fortes que sont l’exil et la famille, Olivia Ruiz dresse le portrait de femmes particulièrement touchantes et émouvantes. Même si certains passages sont parfois assez mièvres, on ne peut que saluer la grande authenticité qui se dégage de ce roman. On retrouve donc la pudeur espiègle et la douce poésie qui avaient par le passé marqué son univers musical. En définitive, ce premier roman agréable à lire exprime une voix singulière et affirme une personnalité qui l’est tout autant.


Et parce qu’une commode bien gardée et bien remplie, ça rend l’imagination des enfants incroyablement fertile.

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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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