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Contes & Racontes du pays de Rocamadour - Abbé Jean Lafon (2015)

Une plongée fascinante dans un monde qui met à l'honneur le surnaturel, les légendes, la tradition orale et qui, surtout, réenchante un territoire.

Avec ce livre, nous plongeons dans le monde de l'oralité d'une ruralité sans doute perdue.
 

Contes & Racontes du pays de Rocamadour, Abbé Jean Lafon, Tertium Editions (2015)

La vertu essentielle de ces récits est de ré-enchanter notre territoire, de donner âme et vie aux lieux, de les emplir de cette profondeur historique que pierres et paysages évoquent sans révéler d'emblée. L'autre qualité de ces textes est de permettre, sous les auspices de l'abbé, de mieux imaginer cette société rurale d'avant-guerre, en ses veillées, son travail ordinaire, ses rites, mais aussi et peut-être surtout, en ce qui a pu la faire rire et rêver, en ses croyances et ses songes qui parfois, deviennent des contes. Cette description d'un imaginaire et de représentations du monde nous est sans doute précieuse, dans un monde devenu rationnel et parfois désenchanté.

Certains de ces textes sont des contes pour la plupart répertoriés mais ces versions inédites ont l'avantage d'être localement situées, à la manière des légendes et autres récits, ces racontes qui font partie de « ce qui se raconte » et que l'on tient pour vrai.

Les occitanistes sauront reconnaître sous la plume de l'abbé, une langue riche, subtile, nuancée et les amateurs de littérature orale sauront apprécier, dans une traduction en français de Guilhem Boucher et une adaptation de Martine Bergues, la diversité et la saveur d'histoires bonnes à transmettre.

 

Dans le cadre de la Mass Critique Babelio de janvier, j’ai eu la chance de recevoir le livre Contes & Racontes du pays de Rocamadour de l'abbé Jean Lafon, paru chez Tertium Éditions en 2015. Étant moi-même originaire du Sud-Ouest et connaissant (un peu) la belle région du Lot, j’ai été curieux de découvrir les légendes et les histoires qui peuplent les alentours de la ville de Rocamadour. L’occasion pour moi de plonger dans l’histoire d’un territoire qui m’est familier et qui se voit, par la simple entremise de ce livre, tout simplement réenchanter et mythifier. De quoi toucher du doigt une perception du monde qui a aujourd’hui en grande partie disparu.


Deux précisions préalables s'imposent. La première, c’est que quand bien même j’ai reçu ce livre de la part de Babelio et de Tertium Editions, mon avis sur ce recueil en reste totalement indépendant : cette chronique a été rédigée de la manière la plus honnête et sincère possible. Second aspect qui mérite je crois, d’être éclairci d’emblée : ce livre, s’il est effectivement marqué par une ancrage territorial indéniable, s’adresse bien plus largement à quiconque s’intéresse aux contes, aux légendes et, de manière plus générale, à la transmission de la langue orale. Car derrière la vingtaine d’histoires que comporte ce recueil, la thématique principale du livre est sans nul doute celle du patrimoine.


Je suis trop malheureux de n’avoir jamais eu peur, disait-il à sa mère et à son frère. Je ne veux pas me marier tant que je ne serai pas un homme comme les autres car ce serait le déshonneur d’une femme. Aussi, tant que je n’aurais pas eu peur, je ne me marierai pas.

Rentrons maintenant au cœur de ce livre et venons-en d’abord à son auteur, l’abbé Lafon. Si ce livre a vu le jour, c’est d’abord grâce à lui. Comme son titre l’indique, Jean Lafon est un homme d’église né en 1923 près de Rocamadour. Dès ces débuts, si son travail ecclésiastique l’a longtemps occupé, il a depuis sa jeunesse développé une passion pour la langue occitane et sa région. Grand lettré (il parle plus d’une douzaine de langues dont l’araméen, l’hébreux, etc…) et fort de son appétence pour l’histoire de son village, il s’est évertué depuis ses quatorze ans à répertorier tous les chants et les histoires qui se sont transmis de générations en générations grâce aux conteurs, ces personnes qui pendant des siècles furent récipiendaires de cette tradition orale.


Ces récits et légendes sont avant tout à remettre dans leur contexte. Car au début du XXème siècle, avant l’avènement de la modernité et de l’éducation rationaliste qui en découle, la vie paysanne était régie par des habitudes et des coutumes dans lesquelles ces histoires avaient une place importante. En effet, les gens d’un village se retrouvaient le soir au coin du feu lors de veillées où un conteur prenait la parole et racontait les récits qu’il avait entendus, et qui pouvaient remonter à des années auparavant. Ces moments de partage dans la pure tradition maussienne, souvent conçus autour d’activités telles que le dénoisillage de noix où les voisins se retrouvaient pour décortiquer ces fruits, étaient des vecteurs de transmission d’un savoir qui reposait exclusivement sur la tradition orale. Si le socle de ces histoires restait le même, chaque conteur l’enveloppait d’une subjectivité qui la rendait à chaque fois différente. Le travail que s’était donné l’abbé Lafon a donc été de recenser tous ces conteurs (voisins ou membres de sa famille), toutes ces personnes qui savaient ces contes, ces chants et ces récits occitans à la valeur culturelle et patrimoniale inestimable pour les rassembler et les retranscrire afin de les préserver.


Je me suis empoisonné ! Mon Dieu, si vous me sauvez, je vous promets de ne plus jamais manger de chair de chrétien, parole de Gargantua.

Ce recueil qui en présente donc une vingtaine est divisé en deux parties : comme son nom l’indique, nous avons d’une part des histoires qui s'apparentent majoritairement à des contes et, d’autre part, ce que l’abbé Lafon a nommé des racontes. Si la distinction est loin d’être immuable, je crois qu’il est possible de dire que les contes sont des histoires dans l’ensemble connues en France et au-delà, plus universelles que celles qui composent les racontes, dont l’identité amadourienne est bien plus marquée tant elles se rapportent plus ou moins directement à cette ville et aux habitants qui y ont vécu. En revanche, toutes tendent à réenchanter les paysages de Rocamadour et incorporent dans leur structure une part de spiritualité et de surnaturel.


Ce qui m’a sans doute le plus fasciné dans ce livre, c’est le fait de lire des contes qui ont tous une réalité et un existence en France et en Europe mais qui, ici, ont une résonance territoriale marquée. Ce que je veux dire par là, c'est que de nombreux contes recueillis par l’abbé Lafon sont des histoires qui ont des points communs avec d’autres contes ailleurs en Europe et, à ce titre, sont recensés dans la classification Aarne-Thompson-Uther (indexation internationale des contes qui permet de les regrouper autour de contes-types, c'est à-dire d’un schéma narratif commun). Ces histoires-là, si elles relèvent d’un conte-type particulier commun à des dizaines d’autres versions, elles ont néanmoins fait l’objet d’une réappropriation et d’une réinterprétation propre au pays de Rocamadour. C’est d’ailleurs également le cas du personnage de Rabelais, Gargantua, que l’on retrouve au détour de l’un de ces récits. Bref, tout cela pour dire que j’ai été sous le charme de la capacité de réactualisation permanente propre à la tradition orale qui a fait de figures et d’histoires de la culture populaire françaises des éléments constitutifs du folklore amadourien.


Ne tremble pas devant le diable Et de lui, tu seras craint.

Évidemment, et c’est souvent le cas avec les recueils, les nombreuses histoires qui y figurent sont parfois inégales. C’est le cas ici avec quelques-uns de ces contes et racontes, qui relèvent, à mon sens, de la pure anecdote et l’intérêt qu’ils peuvent susciter ne dépassent pas le cadre familial dans lequel ils ont été pendant longtemps racontés. C’est pour cela que j’ai deux ou trois fois été assez déçu, la promesse faite au début du récit n’est parfois pas tenue. Mais dans la grande majorité des cas, la portée de ces récits reste universelle. Certains d’entre eux, certes un peu vulgaires, sont souvent drôles et participent au réenchantement des paysages et du territoire.


Car, au fond, le cœur du livre est précisément celui-ci : le territoire. Ces histoires, aussi diverses que variées, font d’une manière ou d’une autre (re)découvrir la région de Rocamadour et ses secrets. Les vieux moulins, les grottes, les chapelles reprennent vie dans ces récits. La campagne s’en retrouve de nouveau mythifiée et devient la dépositaire de mystères, d’une spiritualité chrétienne, et plus généralement d’un système de croyances aujourd’hui perdu ou presque. Plus largement, ces contes sont les témoins des représentations et des pratiques d’un monde rural qui donnait du sens à l’environnement et aux lieux qu’il habitait. C’est pour cela, qu’à mon sens, ce livre peut présenter un intérêt pour quiconque a envie de se plonger dans un monde qui n'est pas si lointain, mais pourtant révolu. Ces histoires ne sont que les rares vestiges d’une tradition orale qui était alors au cœur du monde social. Le travail de l’abbé Lafon est donc à ce titre remarquable et s’inscrit dans cette volonté de transmission d’un patrimoine aujourd’hui presque disparu.


Ce recueil de contes et de racontes est tout bonnement fascinant. Il nous plonge dans un monde, malheureusement en grande partie révolu, où la tradition orale avait un rôle prépondérant au sein des campagnes françaises et, plus particulièrement, de celle de Rocamadour. Divisé en deux grandes parties, l'une comportant des contes, à la portée plus universelle, et l'autre des racontes, des histoires plus spécifiques à cette région du Lot, ces récits ont la vertu étonnante de plonger le lecteur dans une époque où le surnaturel et la spiritualité avaient encore toute leur place. En réalité, l'objet même de ce livre est au fond celui-ci : le territoire. Toutes ces histoires font d'une manière ou d'une autre (re)découvrir la région de Rocamadour et ses secrets. Les vieux moulins, les grottes, les chapelles reprennent vie sous nos yeux. La campagne s'en retrouve de nouveau mythifiée et devient la dépositaire de mystères et d'un système de croyances aujourd'hui perdu ou presque. Plus largement, ces contes sont les témoins des représentations et des pratiques d'un monde rural qui donnait du sens à l'environnement et aux lieux qu'il habitait. Je crois que, même si l'ancrage territorial de ce livre est profondément marqué, il peut néanmoins s'adresser à quiconque a envie de découvrir les particularités de la transmission orale. Plusieurs de ces récits ont une portée qui s'étend bien au-delà de l'Occitanie et on se surprend à retrouver des personnages ou des structures narratives connues en France entière, voire même ailleurs. Seul bémol peut-être, mais c'est souvent le propre des recueils : les nombreuses histoires qui y figurent sont parfois inégales. J'ai été un brin déçu par deux ou trois de ces récits qui, à mon sens, ne relèvent que de la simple anecdote et n'ont pas éveillé un grand intérêt chez moi tant elles ne dépassent pas le cadre familial dans lequel ils ont été pendant longtemps racontés. En fin de compte, on ne peut que saluer le travail remarquable de l'abbé Jean Lafon et être admiratif de sa volonté indéfectible de transmettre des histoires constitutives de la tradition orale de sa région. Bref, il s'agit là d'un livre vraiment enthousiasmant qui présente une qualité précieuse : celle de réenchanter un territoire à travers la tradition orale. Je tiens, en dernier lieu, à saluer l'équipe de Babelio et Tertium Editions pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une Masse Critique. Merci pour cette belle découverte !


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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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