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Belibaste, le dernier cathare - Jesús Ávila Granados (2015)

Une plongée dans le Moyen-Âge des XIII et XIVème siècles à la découverte d'un mouvement religieux aujourd'hui disparu : le catharisme.


 

Belibaste, le dernier cathare - Jesús Ávila Granados, Editions Cairn (2015)

Le catharisme constitue une des grandes énigmes de l’histoire médiévale. Avec la mort sur le bûcher, à l’automne 1321, du dernier parfait cathare d’Occitanie, c’est l’essence même d’un art de vivre qui disparaît après avoir fait progresser l’humanité pendant plus de deux siècles. Derrière tout cela, il y a une croisade, la seule et unique lancée par l’Église contre un territoire chrétien avec un bilan supérieur à un million de morts. Malgré tout, puisant ses racines dans la lointaine Perse de Zarathoustra, cette philosophie reste toujours vivace de nos jours, comme on peut le constater en visitant la stèle de Montségur, où furent brûlées vives 225 personnes.


Avant de mourir, Bélibaste nous lègue le récit de sa vie passionnante, émaillée de multiples révélations tout au long d’une fuite perpétuelle. Loin de la détruire, les flammes ne feront que confirmer une prophétie qui fit trembler les fondations de l’Église, et dont l’ombre continue de planer sur les siècles à venir.


Cathares et templiers voient leurs chemins se croiser dans ce roman historique, une œuvre trépidante qui raconte à la première personne la vie de Bélibaste. Après avoir réussi ses épreuves d’initiation – expliquées et analysées avec un luxe de détails –, et après s’être évadé des cachots du Mur de Carcassonne, le dernier des parfaits se voit dans l’obligation de fuir à travers des chemins secrets, en quête de liberté et sous la menace constante de traîtres, conspirateurs et inquisiteurs. Des alliés surprenants l’accompagneront même dans sa « cavale ».


Bélibaste, le dernier cathare, ne laisse pas le lecteur indifférent. Il s’agit d’une aventure qui saisit par son réalisme, et dont la magie nous subjugue de bout en bout.

 

Avec Bélibaste, le dernier cathare, Jesús Ávila Granados nous plonge dans un pan méconnu de notre histoire médiévale : la fin du catharisme dans l’actuelle Occitanie au XIII et XVIème siècle.


Qu’est-ce que le catharisme ? Durant le Moyen-Âge, un mouvement religieux, dissident de l’Eglise romaine d’Occident, s’était peu à peu disséminé un peu partout en Europe, et particulièrement dans le Midi de la France, l’actuelle Occitanie. Bien que cette tradition religieuse soit encore relativement peu connue et documentée, il semblerait qu’elle trouve son origine en Europe de l’Est. Le catharisme présenterait de ce fait également des similitudes avec le manichéisme.


A propos de manichéisme, je glisse ici une rapide parenthèse. Il est particulièrement intéressant de relever cet élément sans doute anecdotique : le manichéisme, dans sa genèse, est loin d’être uniquement ce mot que l’on utilise bien trop souvent à tort et à travers pour désigner la division puriste et sans nuance entre le Bien et le Mal : à l’époque, il s’agissait bel et bien d’une religion. Fondée par un perse, Mani, au IIIème siècle, le manichéisme est un mélange de bouddhisme, de judaïsme et de christianisme. Dans ce système de représentations, le monde est divisé en deux royaumes irréconciliables : celui des Lumières et celui des Ténèbres. Le royaume des Lumières est celui du Bien, de l’éternité, la partie immortelle de l’homme, alors que celui des Ténèbres est celui de la partie mortelle de l’homme, de la matérialité donc, celui du Mal. Bref, la parenthèse est refermée ; redécouvrir l’origine d’un mot est toujours intéressant, me semble-t-il.


Pour revenir au catharisme, son extrême popularité et sa diffusion constante et importante dans le Sud-Ouest français à la fin du XIème siècle ont conduit l’Eglise à condamner sévèrement cette religion comme étant de “l’hérétisme”. Le catharisme allant contre certains préceptes du catholicisme (voir la prochaine citation) et mettant de plus en plus à mal la religion dominante de l’époque, à savoir l'Église catholique, dont le siège était alors à Avignon, cette dernière s’est vue contrainte de lancer une croisade contre ces “hérétiques” (la tolérance, on le sait, était loin d’être son fort) : c’est la Croisade contre les Albigeois (1209-1229). Sans rentrer dans les détails, cette guerre contre le catharisme menée par Simon de Montfort fut particulièrement sanglante, et le fief de cette religion (Monségur) fut détruit.


“- Ne tuer de personne ou d’animal d’aucune sorte, tous ayant une âme attendant son salut. - Obligation de jeûne. Un bon chrétien doit se séparer du monde matériel, dont le seigneur et maître est le diable. L’essentiel est de nourrir son âme. - Pratiquer la chasteté. Cette règle est uniquement applicable aux parfaits, car la procréation est diabolique en mettant au monde la prison de l’âme, qui est le corps. - Interdiction de jurer ou de prêter serment. - Obligation de travailler. - Assister aux sermons des parfaits. - Respecter les parfaits en faisant le melhorament, ou salut conforme, avec triple génuflexion tout en récitant les paroles “Priez Dieu pour qu’il m’amène à bonne fin”. - Croire à la transmigration des âmes et à la réincarnation. - Négation de la divinité de Jésus. - Croire que la mission de Jésus a consisté uniquement à révéler aux hommes qu’adorer le Démiurge, ce terrible personnage de l’Ancien Testament, c’était en réalité rendre hommage à Satan. Il n’est pas possible que le Tout-Puissant et bon Dieu ait créé un monde, et les êtres humains qui l’habitent, portant les germes de sa propre destruction. - Rejeter les sacrement, surtout l’eucharistie, car elle prétend enfermer Dieu dans un fragment de matière. - L’admission des Évangiles, surtout l’Evangile selon Saint Jean, dans lequel le Christ semble moins un personnage historique que le Verbe éternel de Dieu, la Lumière de l’Esprit envoyée aux ténèbres de la matière. - L’acceptation de la vérité sur l’Apocalypse, annonçant la destruction du monde matériel et l’instauration du Royaume du Saint-Esprit ou Paraclet, le Consolateur. “

C’est dans ce contexte que Jesús Ávila Granados, l’auteur de ce livre, met en scène l’histoire du dernier parfait cathare (un parfait était, pour simplifier, une sorte de prêtre) : Guilhelm Bélibaste. D’une érudition parfois surprenante tant les détails de cette religion et du mode de vie qui en découle sont d’une grande précision, il revient sur les dernières années de ce personnage historique, de son éveil pour le catharisme jusqu’à sa mort.


Pourchassé par les forces de l’ordre pour avoir tué un catholique alors qu’il était en état de légitime défense, Guilhelm Bélibaste va fuir en 1305 Cubières, le village qui l’a vu naître et grandir, pour commencer son périple à travers l’Occitanie et le Nord-Ouest de l’Espagne, alors royaume d’Aragon. Le lecteur va alors suivre l’exil de cet homme, traqué par l’Inquisition, de son initiation au catharisme et à son élévation au rang de parfait jusqu'à son arrestation en 1321.


“Mon esprit s’embrouillait. Comment était-il possible qu’ils veuillent que je nie la vérité ? Je n’arrivais pas à comprendre qu’ils attendent de moi un reniement de mes connaissances, de mes expériences, de ma doctrine et de ma foi, pour la seule et unique raison qu’ils pensaient que j’avais tort. Comment leur faire voir que ceux qui étaient dans l’erreur, c’étaient eux ?”

Si ce roman présente un intérêt historique indéniable, vous l’aurez compris, je serai bien plus mesuré quant à l’engouement romanesque qu’il a suscité chez moi. D’une candeur et d’un angélisme parfois tout bonnement agaçant, le personnage principal fait preuve d’un enthousiasme et d’un émerveillement pour les personnes, les villages et les paysages qu’il rencontre souvent insupportables : “cette ville seigneuriale de Cerdagne très accueillante allait nous laisser un très bon souvenir. La douceur de son climat, la beauté de ses jardins, sans oublier les nombreux plans d’eau et la végétation exubérante, faisaient de cet endroit un havre de verdure”. Seuls les membres de l’Inquisition sont “d’authentiques bêtes inhumaines, dépourvues d’un minimum de miséricorde, incapables de la moindre pitié.” Cette bonté d’âme est certes louable, mais la démontrer à chaque page, voire à chaque paragraphe, de manière parfois naïve et candide, rapproche à mon sens Bélibaste d’une forme, bien qu’inoffensive, de fanatique religieux. Était-ce la volonté de l’auteur ?


Le romanesque n’est ici qu’un prétexte : s’il n’est pas négligé, il semble délibérément être mis de côté. On comprend les desseins de l’auteur, qui préfère utiliser le prétexte du roman historique pour nous présenter la religion cathare qui est incontestablement méconnue et pourtant digne d’intérêt. Ce faisant, certains passages au fort potentiel romanesque sont parfois traités trop rapidement, et paradoxalement, d’autres souffrent de certaines longueurs. Bref, l’objectif de l’auteur est clair : plutôt que d’écrire un manuel d’histoire sur la religion cathare, il a préféré rédiger un roman historique, bien plus ludique certes, mais comprenant un cruel manque de rythme.


“Le désir de revenir à la foi de mes ancêtres devenait chaque jour plus pressant. J’aspirais à me convertir en croyant, puis en parfait. Je voulais donner un nouveau sens à ma vie, m’élever dans la connaissance de la foi et ressusciter ces sentiments qui étaient restés enfouis, ou que j’avais refusé de voir jusque-là.”

A mon sens, le genre du roman historique peut être divisé en deux grandes catégories : celle qui comprend des romans où l’Histoire est au service du roman, de ses personnages et de l’intrigue, pour qui finalement le contexte historique n’est qu’un cadre pour le récit ; et la deuxième, qui met le roman au service de l’Histoire, les personnages et l’intrigue ne sont qu’un prétexte pour traiter une une période historique particulière. Chacune de ces deux catégories présente un intérêt et ses propres limites. Et ici, nous sommes effectivement dans la seconde catégorie.


Finalement, le roman n’est ici qu’un prétexte pour évoquer une période particulièrement sombre de l’Histoire de France : celle de l’Inquisition et des actes ignobles qui ont été perpétrés au nom de l’Eglise catholique au détriment du catharisme. En voulant à tout prix nous initier à cette religion aujourd’hui disparue, l’auteur met de côté le romanesque pour se concentrer sur la description érudite de ce mouvement religieux et du mode de vie qui en découle. De ce fait, le roman en lui-même en pâtit (des longueurs et un manque de rythme), et son personnage idéaliste est parfois à la limite d’un angélisme extrême, parfois ennuyeux. On se laisse néanmoins prendre par ce récit, qui représente somme toute une belle plongée dans le Moyen-Âge du début du XIVème siècle.


“Je compris à cet instant que, dès lors, ma vie serait totalement consacrée à faire le bien.”

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“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

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