top of page

Rien n'est noir - Claire Berest (2019)

  • Photo du rédacteur: Max
    Max
  • 23 nov.
  • 7 min de lecture

Un livre lumineux qui nous présente l'icône Frida Kahlo dans ce qu'elle a de plus passionné, de plus vivante. Un très beau roman.


Un livre qui nous dévoile Frieda Kahlo sous un nouveau, plein de couleurs et de lumière

Rien n’est noir, Claire Berest, Le Livre de Poche, 2020 (2019) « À force de vouloir m’abriter en toi, j’ai perdu de vue que c’était toi, l’orage. Que c’est de toi que j’aurais dû vouloir m’abriter.

Mais qui a envie de vivre abrité des orages ? »

Frida parle haut et fort, avec son corps fracassé par un accident de bus et ses manières excessives d’inviter la muerte et la vida dans chacun de ses gestes. Elle jure comme un charretier, boit des trempées de tequila. Elle aime participer à des manifestations politiques, mettre des fleurs dans les cheveux, parler de sexe crûment et se rendre dans des fêtes à réveiller les squelettes. Et elle peint.

Par-dessus tout, Frida aime Diego, le peintre le plus célèbre du Mexique, son crapaud insatiable, fatal séducteur, qui couvre les murs de fresques gigantesques.

Claire Berest appartient à cette génération d’écrivaines françaises capables de faire dialoguer la littérature avec d’autres formes d’expression artistique et notamment la peinture. Auteure de plusieurs romans, elle s’est notamment fait remarquer grâce à son livre Gabriële, écrit avec sa sœur, Anne Berest. Roman consacré à leur arrière-grand-mère, Gabriële Buffet-Picabia qui fut l’une des muses du mouvement dada, ce roman reçut le grand prix de l'héroïne Madame Figaro en 2018.


Avec Rien n’est noir publié en 2019, l’écrivaine poursuite son exploration du rapport entre création artistique et identité. Elle s’empare ici de la figure de Frida Kahlo, non pas pour en refaire l’icône déjà mille fois évoquée, mais pour la ramener à son énergie primitive. Ce n’est pas uniquement un roman biographique, ni un simple portrait : c’est une tentative littéraire de comprendre ce que signifie vivre, aimer, souffrir et créer lorsqu’on s’appelle Frida Kahlo.


Comment danse-t-on parmi les volcans ? Au-dessous ?

Frida Kahlo : la naissance de l’artiste


Dès les premières pages, Claire Berest s’intéresse moins aux faits qu’aux forces qui travaillent Frida — forces physiques, psychiques, symboliques. Le roman se penche finement sur la période charnière où Frida, encore jeune femme, se construit contre les contraintes imposées par son corps et par son époque.


Les premiers chapitres sont donc dévolus aux événements qui ont fait, littéralement, advenir l’icône Frida Kahlo. De son terrible accident de tramway qui la laissera alitée de nombreux mois, à la rencontre qu’elle provoqua et qui changea sa vie pour toujours - celle avec le mythe Diego Rivera -, cette première partie laisse entrevoir le portrait d’une femme profondément libre, au caractère bien affirmé, qui refuse de se contenter de traverser simplement l’existence. Elle veut vivre, vivre pleinement, vivre malgré tout.


Frida n’advient pas soudainement ; elle se forge comme on se remet d’une fracture — lentement, douloureusement, mais avec une précision presque féroce. Les innombrables séquelles de son accident qui ne la laissent jamais tranquille deviennent pour elles autant de raisons de peindre.


Pourtant, si la peinture (et l’art de manière générale) a toujours fait partie de sa vie d’une manière ou d’une autre, elle se décidera véritablement à s’y plonger corps et âme que plus tard. Car le véritable tremblement de terre qui la marque profondément, c’est évidemment sa rencontre avec l’immense peintre que tout le monde s’arrache : Diego Rivera, le monstre.


Et il me semble que c’est à travers le prisme de cette passion inoxydable pour le peintre que ce roman prend toute son envergure. Claire Berest ne se contente pas de nous raconter l’avènement de l’artiste Frida, elle nous parle avant tout dans ce livre de son amour dévorant pour le peintre.


Elle sait tout de lui, de sa mythologie, et lui ne connaît rien d’elle, elle n’est personne. Il est le plus grand peintre du Mexique, elle est une métisse de Coyoacán qui a vingt ans de moins et une colonne brisée en sus.

Frida et Diego, Diego et Frida : une passion ardente


La relation entre Frida Kahlo et Diego Rivera, souvent simplifiée dans les représentations populaires, apparaît ici dans toute sa complexité. Berest décrit la façon dont deux individus, issus de milieux culturels différents, porteurs de visions politiques et artistiques radicales, entrent en collision. Leur différence d’âge est loin d’être un frein, il est un véritable catalyseur de cet amour total.


Frida tombe amoureuse d’un homme qui est déjà au sommet de sa gloire. Un ogre, un monstre, vorace dans tous les sens du termes, vorace avec les femmes, vorace avec sa peinture. Il ne s’interdit rien. A travers le récit qu’en fait Claire Berest, on sent bien évidemment la fascination qu’exerce ce peintre mexicain légendaire sur la jeune Frida. Mais résumer cette passion à une simple question de fascination serait sans doute une erreur. Leur relation naît avant tout de la collision de deux destins hors du commun.


Il ne faudrait pas non plus réduire Diego Rivera à un simple monstre, dévorant tout sur son passage, y compris la jeune Frida. Le roman ne fait pas de Diego non plus un simple catalyseur de la destinée de Frida ; il en fait un partenaire, un miroir, parfois un adversaire. Ce qui se joue entre eux tient autant d’un affrontement de forces que d’une fusion créatrice.


Si, durant les premières années de leur relation, Frida semble se diluer dans son amour pour Diego, presque en s’y perdant parfois, leur dynamique de couple et les épreuves qui en résultent la conduisent peu à peu à s’émanciper de Diego. Artistiquement. Car émotionnellement, elle sera toujours passionnément attachée à l’amour de sa vie. L’artiste finira par prendre son envol.


Tu sais pourquoi je pleure ? Parce que j’ai été victime de deux horribles accidents dans ma vie, Diego, le premier, c’est le tramway. L’autre c’est quand je t’ai rencontré.

Peindre la douleur : une esthétique du vécu


L’un des aspects majeurs de Rien n’est noir réside dans la manière dont Claire Berest lit les œuvres de Frida sans jamais les disséquer. Elle ne décrit pas les tableaux - au fond, dans ce livre, les tableaux de Frida, ses créations, tout cela n’est pas vraiment relégué au second plan, affirmer cela serait sans doute en partie erroné, cela infuse plutôt tout au long du livre - elle en analyse la genèse émotionnelle.


On voit alors apparaître une logique profonde : chaque événement de la vie — une chute, une trahison, une joie furtive — devient matière picturale. Berest met au jour ce mécanisme intime où la douleur cesse d’être une entrave pour devenir une ressource, un réservoir de formes. On serait ainsi tenté de dire que l’objet de ce livre est de mettre des mots sur la façon dont la vie extraordinaire de Frida motive sa peinture. Ses moments de création sont presque éludés, sous-entendus, au profit de sa relation avec Diego, et aussi de sa relation avec son corps.


Le roman avance ainsi une hypothèse stimulante : Frida Kahlo n’a pas peint malgré sa douleur mais à partir d’elle, construisant une esthétique du vécu où le corps, même meurtri, reste le premier territoire de création.


Et si ces moments où Frida peint sont glissés tout au long du récit de manière très parcimonieuse, la peinture est, quant à elle, présente à chacune de ses pages. Les tableaux ne sont ainsi pas décrits en détail, mais évoqués par touches : une couleur qui surgit, une image qui s’impose, une sensation qui persiste. A chaque chapitre correspond une nuance de couleur, du bleu, du rouge, du jaune, apportant une teinte nouvelle au récit.


Un roman incandescent


Claire Berest nous livre ici un roman incroyablement coloré, à l’image de ce que fut la vie de Frida Kahlo. L’intérêt du récit n’est pas tant de nous présenter une biographie rigoureuse de la peintre (bien que l’auteure se soit visiblement totalement imprégnée de son histoire), mais plutôt de nous la faire découvrir sous un jour nouveau. Celui qui suit le parcours d’une femme brisée physiquement, parfois émotionnellement, mais qui souhaite avant tout ne gâcher aucune seconde sa vie. 


Ce texte ne cherche pas à expliquer Frida Kahlo, mais à éclairer ce qui, en elle, déborde constamment : sa manière de transformer la douleur en langage, l’amour en force créatrice, la vie en couleur.


Et c’est ici que réside toute la beauté de l’écriture de Claire Berest qui arrive à saisir ces instants, ces couleurs d’une vie menée tambour battant. A sa manière, avec des mots, des mots sublimes, l’auteure saisit toute la beauté d’une existence exceptionnelle. A l’image de la vie de Frida Kahlo, ce livre est incandescent, il illumine toute une vie.


- Le problème c’est que Diego veut être aimé du monde entier et du siècle. - Et toi, Frida ? - Moi, je veux être aimée de Diego Rivera.

Après Gabriële, roman consacré à son arrière-grand-mère Gabriële Buffet-Picabia, figure du mouvement dada, Claire Berest poursuit son exploration de la création artistique avec Rien n’est noir (2019), consacré à Frida Kahlo. Berest ne cherche pas ici à reconstruire la biographie exacte de la peintre mexicaine : elle veut en saisir l’énergie, la pulsation intime, ce qui fait naître et tenir une artiste malgré les drames qui jalonnent son existence. L’accident de tramway, événement fondateur qui marqua toute sa vie durant Frida, initie le début d’une reconstruction qui passe par le corps souffrant et, progressivement, par la peinture. Claire Berest montre comment Frida se forge lentement, comme on se remet d’une fracture, avec une détermination féroce. La rencontre avec Diego Rivera constitue le cœur incandescent du récit. Le peintre, véritable mythe vivant, apparaît à la fois comme ogre, maître, miroir, adversaire ; Frida, d’abord aimantée par lui, finit par s’affirmer et par trouver, au sein même de cette relation tumultueuse, l’espace de son propre envol artistique. Le couple se construit dans l’affrontement autant que dans la fusion, dans la douleur autant que dans l’admiration. Les moments de création, dans le roman, sont presque éludés, sous-entendus : ils affleurent. Claire Berest s’intéresse plutôt à son origine, à la manière dont les épreuves, les joies, sont autant de sources d’inspiration. Frida ne peint pas malgré la douleur, mais à partir d’elle. Chaque chapitre s’illumine d’une couleur, écho discret à la palette de l’artiste, rappelant que le récit tout entier baigne dans une atmosphère picturale. Au fond, Rien n’est noir n’est ni une biographie ni une reconstitution historique : c’est un roman incandescent qui cherche à éclairer ce qui déborde chez Frida Kahlo — sa liberté, sa faim de vivre, sa capacité à convertir la souffrance en éclats de lumière. Berest parvient, par une écriture vibrante, à saisir les couleurs d’une existence menée à pleine intensité. Un livre qui, comme son héroïne, ne cesse de brûler.


📖📖📖📖


Commentaires


Abonnez-vous !

  • Instagram
  • Facebook

“ Chaque esprit se construit pour lui-même une maison, et par-delà sa maison un monde, et par-delà son monde un ciel.”

Ralph Waldo Emerson

© 2023 par l'Amour du livre. Créé avec Wix.com

bottom of page